L’Ambition, Les trafiquants d’éternité, Amélie de Bourbon Parme (par Philippe Chauché)
L’Ambition, Les trafiquants d’éternité, Amélie de Bourbon Parme, Gallimard, juin 2023, 512 pages, 23 €
Edition: Gallimard
« Je n’ai renoncé à rien. Ni au pouvoir ni à la richesse ni au savoir, ni à la beauté. Ni à l’amour, ni à ma charge. J’ai laissé à d’autres le soin d’être irréprochables et la folie des regrets » (Novembre 1549).
« Chaque semaine, Laurent payant sa pension au philosophe. En échange, Laurent recevait de lui un manuscrit rare. Voyant ce troc s’effectuer sous ses yeux, Alessandro était convaincu d’assister au véritable marchandage qui faisait le succès des Médicis : celui de la pensée contre l’argent, des idées contre le pouvoir, de la connaissance contre l’autorité » (Fin de l’hiver 1486-1487).
L’Ambition est celle d’Alessandro Farnese, une ambition chevillée au corps et à l’âme, il deviendra cardinal, puis Paul III, le 220e Pape de l’Histoire de la Chrétienté. Mais ne brûlons pas les étapes, donnons le Temps au roman d’Amélie de Bourbon Parme, pour qu’il se déploie, et il se déploie avec force, finesse et justesse.
Et comme Casanova, Alessandro Farnese subira l’épreuve de la prison, de la mise à l’écart par le pape Innocent VIII, sous l’influence du cardinal Giuliano Della Rovere, maître des complots et des disparitions, il aura donc sa cellule dans le château Saint-Ange, qui portera merveilleusement son nom lorsqu’un ange l’aidera à s’échapper. Alessandro Farnese est un homme de conviction et de fidélités, à sa sœur Giulia, maîtresse du pape Rodrigo Borgia, à Laurent de Médicis, c’est la République de Florence qui va un temps l’accueillir et le protéger, il y croise Pic de la Mirandole, et Nicolas Machiavel, deux figures de la pensée, et pour l’un, des stratégies et du pouvoir, pour l’autre, de la Bible et de la kabbale. L’Italie du XVe siècle où Alessandro Farnese va s’imposer est celle des trahisons, des guerres des grandes familles, Royaumes et Républiques, de la luxure, mais également celle de l’effervescence des savoirs, de la beauté lumineuse de la Renaissance. De tout cela, Alessandro Farnese se nourrit, comme il se nourrit d’amitié et d’amour, celui de celle qui l’a délivré de son cachot : Silvia. Son ambition, c’est son talent, sa force, son intelligence incandescente, c’est un stratège brillant qui défend tout autant Rome que ses terres, sa famille, sa destinée, c’est un fondateur, qu’éclaire brillamment ce roman. Lorsque s’achève L’Ambition, Alessandro Farnese n’est pas encore élu pape, mais il a façonné le chemin de pierre qui va l’y conduire.
« Ces quelques heures passées avec Silvia me donnèrent pour la première fois l’illusion que j’étais éternel.
Ma foi s’en trouva ravivée. Mon désir d’être à la hauteur de la dignité qu’on m’avait confié en fut renforcé ».
« Sur le mur, face à eux, était construit un monument sculpté en marbre. Allongée sur un tombeau, la statue d’un homme se reposait d’un sommeil éternel. Tout autour étaient scellées des plaques et des épitaphes au nom des ancêtres de la famille Farnese. Partout des licornes brandissaient le symbole de la fierté familiale ».
L’Histoire réussit parfois aux romanciers, à condition qu’ils ne renoncent pas à l’art du roman, aux finesses des traits et portraits, à la grâce des situations romancées, à cette singularité qui fait toute la différence : la composition romanesque. L’Histoire est un vivier passionnant, l’écrivain qui s’en saisit, qui l’explore et s’en nourrit, lui offre l’effervescence romanesque, et réussit une prouesse, ou un miracle si l’on préfère, car trop malmenée ou trahie, elle se cabre, et le roman bascule dans le néant. Amélie de Bourbon Parme réussit cette prouesse d’épouser l’Histoire et celle de son ancêtre Alessandro Farnese, comme elle le fit avec autant de force et d’allégresse dans ses deux précédents romans. L’ambition d’Alessandro Farnese est une manière d’être, de vivre et de célébrer son nom et l’éclat de l’église, sa réussite un temps contrariée sera son honneur, et ce roman est aussi celui de l’honneur d’un homme de qualité.
Philippe Chauché
On doit à Amélie de Bourbon Parme deux romans publiés chez Gallimard : Le Secret de l’empereur, et Le Sacre de Louis XVII, édités par Philippe Sollers dont elle écrit : « Après la lecture de mon roman sur Louis XVII, il avait laissé un message inoubliable sur mon répondeur, de cette voix qui vous traverse l’âme et le corps, en terminant par cette expression banale mais qui l’était moins à propos de ce livre qui dévoilait la véritable identité de Louis XVII grâce à son cœur devenu relique parlante : “Je vous remercie de grand cœur” ».
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