L’accord, Henri Raynal (par Jean-Paul Gavard Perret)
L’accord, Henri Raynal, 160 pages, 20 €
Edition: Fata Morgana
Les transversalités
Chez Raynal, le plaisir éclate dans des lâcher-prise et des épuisements paradoxaux là où se troque un éventuel « je t’aime » pour les mains du matin. Et ce, dans les marottes érotico-mystiques chères aux récits de l’auteur ; celui-ci, comme auparavant, et chez le même éditeur : Aux pieds d’Omphale, et Dans le secret. Dans ce texte, l’auteur nous plonge dans une abbaye de Thélème d’un nouveau genre. Aux moines font place des hommes probablement plus délinquants mais tels « offrants » phalliques acceptent avec joie le gouvernement des femmes.
Existent en conséquence bien des renversements de valeurs. La mise à nu de l’âme passe par des détours en un tel contexte et système. En ce qui devient un conte initiatique et un traité de philosophie mystique, la soif des douceurs de certains « fruits » dessine de nouvelles pistes au moment où le plaisir change de gouvernail et de gouvernance, et d’une certaine façon se réoriente et se démilitarise dans de nouvelles oppositions réformistes.
La conque reste le lit d’un certain absolu. Elle mobilise, établit bien des liens. Et si les cheveux des dames dans leurs jeux ne dansent pas forcément en de paradoxales parades, processions et bacchanales jaillissent des banquets de silènes où les cœurs – mais ils ne sont pas les seuls – se mettent à bourgeonner en faisant abstraction de certains blocages.
Nous nous retrouvons dans un monde presque parallèle comme il en existe dans Eyes Wide Shut de Kubrick, dans les images d’un Paul Delvaux ou chez un Pierre Klossowski, mais où les données seraient soudain inversées. Des inconnues cachées répondent sommairement – car presque silencieuses – au narrateur. Par « piété », il devient le dindon d’une farce au moment où il voudrait savonner certains monts de Vénus. Certes, il feint une firme d’ascétisme. Mais il ne faut pas se laisser prendre : dans le froissement des robes d’abbesses, le narrateur un rien masochiste glisse vers elles pour qu’elles le libèrent de ses entraves psychiques là où rien n’est essentialisé : les sens gardent la part belle dans la duplicité de certains labyrinthes.
Ce dont le narrateur rêve – entre autres, en âme – n’a rien de sécuritaire. Ses vœux le portent vers les murmurantes qui, à peu près toutes d’accord et radicales dans une forme particulière de « militantisme », savent diriger leur jeu là où le vieillir reprend du mouvement et de l’activité – et ce, pas seulement par association d’idées. Le tout entre verticalité, horizontalité et transversalité.
Jean-Paul Gavard-Perret
Henri Raynal, né en 1929, est écrivain, poète et critique d’art. Il est membre de la Revue du Mauss à laquelle il participe. En 2017, s’est tenu sur lui à l’abbaye d’Ardenne IMEC un colloque international sous la direction de Marie-Hélène Boblet et Belinda Cannone. Ses archives ont été confiées en 2009 à l’Institut Mémoires de l’édition contemporaine et sont constituées de nombreuses notes se rapportant par exemple au thème de « l’apparure » très cher à Henri Raynal.
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