Kyoto Song, Colette Fellous (par Jean-Paul Gavard-Perret)
Kyoto Song, février 2020, 192 pages, 20 €
Ecrivain(s): Colette Fellous Edition: Gallimard
Crépuscule à Kyoto
Le voyage au Japon donne à la vie de Colette Fellous le roulis d’une autre perspective Son livre devient large d’émotions par à la fois changement de décor, de cap, et la présence d’une fillette qui crée dans la psyché de l’auteure une fente ou une traversée.
L’éloignement géographique crée une proximité. Il ne s’agit plus de poser les questions : de qui ? de quoi ? Soudain l’auteur peut aller plus loin avec elle-même d’où ce besoin d’imaginer que ce voyage serait éternel. S’y recreusent des sources, s’incisent les songes qui échappent à la seule tyrannie de la Méditerranée.
Kyoto devient l’écran qui peut se traverser. L’Autrefois rencontre le Maintenant, en une fulguration, pour former une constellation neuve. C’est pourquoi l’auteure réinvente son propre cinéma intime. L’Imaginaire fait regermer le passé en une relation double avec l’image de la ville et le corps de la fillette où se « métaphorise » celui de son accompagnatrice.
Déplacement et présence insèrent Colette Fellous dans une situation perceptive nouvelle. Elle offre à son propre passé des transformations successives. Certes la boucle n’est jamais bouclée mais en une telle construction mentale où le direct est toujours différé, le passé se trame selon une représentation paradoxale, à savoir celle de l’évidement contre l’évidence.
Il ne s’agit pas à proprement parler de filature. Pas question non plus de bricoler dans le psycho-diagnostique. Colette Fellous tisse son « film » sur l’écran de la ville. Unie à celle qu’elle guide, la créatrice tresse un geste de remise symbolique. Il replace ou plutôt déplace le je, son image pour les « guérir ».
Ce déplacement implique chez elle une disponibilité et un relâchement des réflexes acquis. C’est pourquoi face à ce texte, l’indifférence est impossible. En ce sens ce « song » est l’inverse du western c’est un « eastern » qui fait reculer la frontière du moi et le creuse.
Le Japon dénude le réel et crée un processus de réappropriation. Kyoto Song remet en cause – à travers les sensations – bien des souvenirs. Jaillit la perception de leur perception.
La distance instaurée par l’écart crée une étrange intimité, un apprendre voir, un arrachement et une reprise. Kyoto permet à Colette Fellous de sortir de son histoire telle qu’elle l’avait construite jusque-là pour atteindre une liberté et « temps pur » qui n’appartiendrait qu’à elle par-delà ses racines dont elle revisite ici ses attachements.
Par la musique des mots se retrouve la clarté de l’enfance. Elle permet de voir ce qui n’avait pas encore de nom, de s’approcher de soi en s’approchant de l’autre par le pouvoir de l’air suave du soir, ses coloris, sa poussière, sa diaphanéité. La mémoire ou l’oubli. Le « song » change de rythme par rapport aux œuvres antérieures de l’auteur. Il lui apporte encore de la brûlure. Mais il fait le ménage et crée un aller sans retour à la place d’un retour sans l’aller.
Jean-Paul Gavard-Perret
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