Knulp, Hermann Hesse
Knulp, Hermann Hesse, traduit de l’allemand par Hervé du Cheyron de Beaumont, Calmann-Lévy, 1972, Le Livre de poche
Ecrivain(s): Hermann Hesse Edition: Le Livre de Poche
« La route s’enfonçait, toute droite, dans le bleu tendre du ciel, où le monde semblait prendre fin ». Knulp est un vagabond. Il n’a « aucune disposition pour le travail ». Il mène une existence de chômeur qui le voue à l’illégalité et au mépris. Toléré par les gendarmes qui respectent « sa supériorité intellectuelle, et à l’occasion, le sérieux », Knulp erre de par le monde. « On le laissait aller » ainsi qu’un chat qui partage la maison et la vie de ses maîtres. Chaque soir avant de s’endormir il tire « quelques feuillets de sa bibliothèque de route » qui se compose de « poésies et de maximes qu’il avait recopiées et d’une liasse de coupures de journaux ». Le sud de l’Allemagne est le territoire d’attache de ce nomade (si l’on peut dire…) Il y revient toujours. « Amour de la terre natale » ? ou « inquiétude singulière » de mourir éloigné de cette terre ?
Le roman commence alors que Knulp sort de l’hôpital et revient dans le village de son enfance. Il est malade et fatigué. Comme épuisé par des années d’errance. Mais on se presse pour l’accueillir.
Il s’installe chez Rothfuss, le tanneur, et sa femme. Qui n’ont bien sûr pas le même point de vue que lui sur la vie, le travail, la liberté. « On apprend toutes sortes de choses en voyageant » dit Knulp. « Mais nous autres, nous avons au moins une maison, un métier et une gentille femme » répond Rothfuss. Certes, une chambre bien chaude en hiver, c’est appréciable. « Mais se marier pour ça, ça n’en vaut pas la peine ». Certes « un homme qui travaille, qui fait son chemin dans l’existence a un sort plus heureux à bien des égards, mais il n’aura jamais les mains aussi belles, aussi délicates ni une allure aussi légère, dégagée ». Certains pensent que Knulp s’est avili, qu’il est « resté à l’écart, bohême, éternel spectateur ». Lui estime que d’être élégant comme un prince même quand on crève la faim « ça aura meilleure allure, et puis ça me fait plaisir ». Mais on le sait, la liberté a un prix : la solitude. Et la vie a une fin. Knulp revient au pays natal parce que « les longues années d’errance s’amenuisaient dans son souvenir, lui paraissaient négligeables, tandis que le temps mystérieux de l’enfance prenait à ses yeux un éclat et un charme nouveau ». Les premiers souvenirs, les premiers sillons qui se gravent dans la mémoire, – « la lumière et le parfum, les bruits et les odeurs du pays natal » – sont peut-être les plus importants.
Knulp a-t-il eu « raison de suivre sa nature (…) de parler à tout le monde, comme un enfant et de gagner tous les cœurs, de raconter de belles histoires à toutes les femmes et de croire que chaque jour est un dimanche » ? De préférer la servante à la bourgeoise ? De contempler ce qui est passager, éphémère (la beauté, un feu d’artifice…) « non seulement avec joie mais aussi avec compassion » ? De faire au mieux avec « la souffrance qui s’attache à toutes les relations humaines » ? De passer ses journées « plus souvent couchés dans l’herbe que debout sur nos jambes » ? Comme souvent en présence d’un être « libre », les humains moins libres ne savent pas trop sur quel pied danser. Est-ce lui qui a raison ? Est-ce seulement un raté, un égoïste, voire un profiteur ? Knulp est-il l’un de ces hommes nécessaires à l’existence des autres, ces vagabonds que nous n’osons pas être et qui portent en permanence « un peu de la folie et du rire d’un enfant ? » Au lecteur de trouver sa route. « C’est à chacun de nous de se faire une idée de la vérité et de l’ordre du monde ».
Attention : chef d’œuvre. Livre très fort. Apologie de la liberté, du désintéressement, mais aussi magnifique texte sur la solitude. À avoir dans la bibliothèque – à côté du récit des pérégrinations « hasardeuses » d’un autre « rêveur des chemins du vaste monde », les Scènes de la vie d’un propre à rien de Joseph von Eichendorff. À lire et à relire.
Les premières lignes : « Au début des années quatre-vingt-dix, notre ami Knulp fut hospitalisé plusieurs semaines. À sa sortie de l’hôpital, à la mi-février, il faisait un temps détestable et Knulp se sentit à nouveau fiévreux après quelques jours de marche. Il se mit alors à la recherche d’un nouveau gîte. Les amis ne lui manquaient pas : il eût trouvé un accueil chaleureux dans presque toutes les petites villes de la région. Mais il était d’une fierté singulière, à tel point qu’un ami s’estimait honoré lorsque Knulp acceptait d’être son obligé ».
Lionel Bedin
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