Identification

Kenny, Frédéric Vossier (par Didier Ayres)

Ecrit par Didier Ayres le 29.11.21 dans La Une CED, Les Chroniques, Les Livres, Théâtre, Les solitaires intempestifs

Kenny, Frédéric Vossier, éd. Les Solitaires Intempestifs, septembre 2021, 80 pages, 14 €

Kenny, Frédéric Vossier (par Didier Ayres)

 

Révélation

Peut-être que la dernière pièce de Frédéric Vossier pourrait être, en un sens, une quête de nomination, celle de nommer des êtres, nommer des situations. Tout d’abord parce que le prénom ici éponyme, Kenny, est prononcé souvent, assez pour faire litanie parfois. En second lieu parce que se nommer, nommer sa part d’étrangeté, dire comme en une révélation là où le trouble gagne le genre, rendent complexe et ambiguë la vérité sexuelle du personnage principal. Et cela assez brutalement.

Une vision conservatrice, voire réactionnaire, vient s’opposer dans ce schéma actanciel au trajet de révélation du personnage principal. Ou alors cette opposition actancielle le pousse peut-être davantage, l’oblige à exprimer une sorte de confession dont les conséquences, en tout cas pour le lecteur, sont grandes. Car là vacille le thème de la pièce.

Toujours est-il et quoi qu’il en soit, la sorte de rêve, la représentation, la vue générale de cette œuvre se déroulent sous le signe noir d’un pessimisme presque tragique. De ce fait, la pièce se déroule sur une nuit et un jour. On voit donc que ce sujet moderne prend racine dans un terreau classique : unité de temps, unité de lieu, unité d’action – trois unités définies poétiquement par Boileau. On y rencontre aussi un peu de la fatalité qui règne dans Combat de nègre et de chiens, de Koltès.

KENNY. – Bougez pas.

BETTY. – Kenny ?

PÈRE. – Le voilà.

Kenny ne bouge pas. Il est sur le seuil.

Temps.

BETTY. – Kenny – je – je dois –

KENNY. – Il y a quelque chose.

BETTY. – Kenny…

KENNY. – Quelque chose. En promenade. Quelque chose, là, qui pend. Entre les branches.

Il faut aussi que je fasse part de ce qui m’a le plus frappé à la découverte de ce texte théâtral, c’est-à-dire, les rythmes lents et agités, répliques très courtes crépitant et celles plus longues et un peu plus écrites. De ces deux extrémités dramatiques il en ressort un sentiment vivace, une énergie, un tempo vif, quelque chose capable de mimer la vie réelle. Entre répliques écrites et dialogues incisifs se loge une profondeur disons, psychologique – ce qui pour moi m’est agréable – ou en tout cas indique, dessine des personnages plausibles.

KENNY. – Il faut se protéger dans la vie. Il faut déjouer les complots. Deviner le poison. Vie et poison. Il faut être armé. Il faut buter l’ennemi. Parce qu’on n’est jamais en paix. Parce qu’il n’y a pas de grâce. Où sont les fruits de la grâce ? On est perdu. Il n’y a pas de Dieu.

Puis, dernière impression : une lutte entre Éros et Thanatos. Attirance physique, amour sexuel, tremblement dans le désir, tout cela donne plus de vie, de flux, d’allant, de mouvement intérieur, là où les personnages sont poreux, juste au bord de la révélation, engageant leur identité sexuelle. Donc, pour revenir un instant sur le schéma basique de tout récit, Kenny conduit à Kenny, la pièce conduit à Kenny, les personnages sont satellites de Kenny. Donc, c’est bel et bien une sorte de crise de la nomination. Kenny ou l’histoire sans retour.

 

Didier Ayres


  • Vu: 1973

A propos du rédacteur

Didier Ayres

 

Lire tous les textes et articles de Didier Ayres


Rédacteur

domaines : littérature française et étrangère

genres : poésie, théâtre, arts

période : XXème, XXIème

 

Didier Ayres est né le 31 octobre 1963 à Paris et est diplômé d'une thèse de troisième cycle sur B. M. Koltès. Il a voyagé dans sa jeunesse dans des pays lointains, où il a commencé d'écrire. Après des années de recherches tant du point de vue moral qu'esthétique, il a trouvé une assiette dans l'activité de poète. Il a publié essentiellement chez Arfuyen.  Il écrit aussi pour le théâtre. L'auteur vit actuellement en Limousin. Il dirige la revue L'Hôte avec sa compagne. Il chronique sur le web magazine La Cause Littéraire.