Juste après la pluie, Thomas Vinau
Juste après la pluie, janvier 2014, 281 pages, 17 €
Ecrivain(s): Thomas Vinau Edition: Alma Editeur
Comme il l’écrit lui-même dans sa postface intitulée Lignes de fuite : « Ma poésie n’est pas grand-chose, elle est militante du minuscule, insignifiante, et je l’écris au quotidien, à la mine de rien. J’ai pensé à ce projet plus conséquent. Un gros livre de petits poèmes ». Pari osé, ce roman-poésie, car on sait bien, l’offre en poésie dépasse de loin la demande, beaucoup en écrivent, peu en lisent ; « je travaille beaucoup à la simplicité » nous dit Thomas Vinau, or rien n’est plus difficile à atteindre que la simplicité, cependant chacun pourra très certainement puiser dans ce « gâteau de miettes » quelque chose à son goût.
D’ailleurs, poésie du quotidien peut-être, mais comme le souligne l’air de rien l’intitulé de la postface, il semble qu’écrire de la poésie soit justement pour Thomas Vinau une façon d’échapper au quotidien, ou tout au moins de le rendre parfois plus respirable, plus supportable. C’était peut-être moins évident dans des recueils plus anciens, mais ici on peut distinguer plus nettement des fêlures, des fragilités, dans les constructions qui protègent un quotidien, qui est surtout celui de l’intimité, de soi, du couple, de la famille, comme à opposer à un monde devenu bien trop fou, bien trop agressif pour qui a la sensibilité à fleur de peau.
« Tout va bien » écrit-il, « le monde court après le monde dans les paisibles chuchotements de nos agonies veloutées ». Fragile le poète certes, mais aussi « la solidité des parfums de pivoine lorsque tu me piétines ».
Poète… Spécialiste de « l’inutile indispensable ». La poésie aime peut-être l’ordinaire mais elle ne le laisse pas tranquille, quand elle s’engouffre dans le quotidien, elle le chahute, elle le transforme, le bouscule, le bascule et c’est ainsi que lorsque les yeux de Thomas Vinau « fouillent les ratures du paysage », ils « distinguent un troupeau de fenêtres sauvages ».
Dans le quotidien, il y a ce trésor nommé instant présent, un puits sans fond dans lequel Thomas Vinau sait puiser quelques fulgurances, comme on remonterait quelques jolis poissons.
« Souvent j’ai l’impression
d’être un sachet de thé
dans l’eau tiède du monde
mais parfois me rattrape
la sensation violente
d’être une goutte d’eau
saturée de saveurs
dans une boite à thé »
Et la vie est « une petite rivière pleine et fraîche qui nous file entre les doigts » aussi le poète déplore
« le décès instantané
D’un petit matin frais
Fauché en pleine course
Par un quotidien trop pressé
aux dernières nouvelles
Le champ des possibles
S’écoule encore de son ventre
Sur la chaussée »
Thomas Vinau a l’âme sauvage, qui le ramène autant que se peut vers la nature, l’enfance, ce qui est un peu la même chose.
Je me sers
d’un toboggan d’enfant
comme chaise longue
je me sers
de l’herbe haute comme déodorant
je me sers
du ciel foutraque
comme cahier de brouillon
D’ailleurs le poète a beau viser l’horizontalité, même s’il sait qu’« on fait pisser nos rêves à la laisse comme des chiens », il ne peut s’empêcher de lever les yeux au ciel et se dire que Dieu a l’haleine chargée…
« dans sa dent creuse
un soleil
endormi »
Et les poètes sèment leurs innombrables poèmes que les oiseaux du malheur ne manqueront pas de dévorer, c’est pourquoi il faut en semer beaucoup, beaucoup, afin que certains puissent avoir la chance de germer. Ne serait-ce que pour continuer à nous bousculer le quotidien.
Cathy Garcia
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