Jusqu’à la mort, Amos Oz (par Anne Morin)
Jusqu’à la mort, novembre 2020, trad. hébreu, Rina Viers, 160 pages, 9 €
Ecrivain(s): Amos Oz
« C’est alors que Jérusalem cessa de leur sembler un but, un endroit où se déroulent des aventures glorieuses. Un changement s’opéra. Les hommes rompaient le silence prolongé pour dire : “A Jérusalem” » (p.53).
« Invisible je scruterai sans cesse l’horizon marin. (…) Mais quand soudain surgiront les gris navires aux confins de l’horizon marin, je serai le premier à donner l’alerte. (…) Je donnerai l’alerte jusqu’à en perdre le souffle. Jusqu’à l’extrême limite de mon amour » (p.160).
Ces deux passages, tirés des deux nouvelles de Jusqu’à la mort, se font face, en miroir.
Le premier est le récit d’une croisade pour délivrer Jérusalem, qui échoue et s’échoue dans les ruines d’une abbaye ; le second, celui d’un vieux conférencier qui attend « jusqu’à la mort » la fin des temps, l’abordage et l’invasion par les Russes de la terre d’Israël.
A bout de ressources et de vivres, après avoir semé la mort chez les Juifs rencontrés en chemin, les croisés se retrouvent pris au piège de la neige dans une abbaye en ruines qui va devenir le refuge de leur dernière heure… presque un conte horrifique à la Villiers de l’Isle-Adam. Le but ultime ne sera jamais atteint : « Toutes ces étendues étaient apparemment ouvertes jusqu’à l’horizon. Pourtant, tout était clos et les voyageurs marchaient, marchaient sans cesse, mais ne pouvaient percer » (p.51), le « A Jérusalem » est-il pour ces croisés un vœu pieux ou un toast porté par des impies en proie à la folie grandissante ? Ce ne seront que des ombres qui se mettront en route pour la Jérusalem – céleste ? – « Se dépouillant de leurs corps, ils allaient en se purifiant vers le son des cloches (…) laissant derrière eux leur chair répugnante et fusant comme un jet de blancheur sur une étendue blanche, intention abstraite, vapeur fugitive, le repos peut-être » (p.81).
Le vieil homme qui va, depuis nombre d’années, de kibboutz en kibboutz porter la nouvelle, lue entre les lignes des monceaux de journaux qu’il épluche, entre les mots des journaux radiophoniques, de la proche, toute proche depuis si longtemps invasion russe, pour la conquête – et la destruction ? – d’Israël : « Car il est impossible que toute ta vie n’ait été qu’un rêve aride, car il y a bien quelque chose ; quelque chose doit se manifester, il doit y avoir quelque chose » (p.91).
Quête de l’infini, attente de la fin. Séparés par des siècles, les deux points de vue, celui de l’assaillant pour la re-conquête, la marche vers une promesse – mais arrive-t-on jamais ? – et celui de l’assiégé. Aimer, détruire, aimer, mourir, dans les deux cas perdre de vue son objet. Mourir, comme vivre, n’a plus d’importance, on a détruit l’autre en soi, tout est épuisé.
Anne Morin
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