Jours, Marwan Hoss (par Didier Ayres)
Jours, Marwan Hoss, éditions Arfuyen, septembre 2019, 246 pages, 18 €
Poème-action
C’est avec un intérêt de qualité que j’ai découvert la poésie de Marwan Hoss, au travers de sa dernière publication chez Arfuyen. De fait, Jours fut pour moi un ouvrage de découverte. Cela m’a permis de connaître un auteur – comme on connaît une personne par la certitude d’une amitié, juste en voyant le visage d’autrui, de l’aubain, du prochain – et au-delà, ce que recouvre le poème en sa force performative. Que cela soit à la vie ou à la mort que les poèmes s’adonnent ici, ils sont toujours action.
Ainsi, du premier poème de cette anthologie – laquelle couvre tout le parcours littéraire de l’auteur et de l’homme de l’art qu’est Marwan Hoss –, premier texte donc qui évoque l’enfance, jusqu’au dernier, lequel constitue un texte en surplomb de l’œuvre achevée, le recueil est cohérent. Il passe des origines, par l’univers de la maladie, ou encore par le sentiment de l’exil, des liens avec sa famille, toujours attaché à une spiritualité. Tout cela fait de cet écrivain un témoin actif de sa propre expression, croyant visiblement que l’on peut « habiter le monde en poète », agir depuis le poème vers la vie, et en cela contenir la vie dans le poème.
Je dénonce l’ordre des pierres
sur ta nudité
mon enfance
entre deux roses
Mais il n’y a pas que la chronologie, le temps qui passe, qui m’ont intéressé, mais aussi la capacité de cette langue – qui s’exprime dans de courts poèmes de 3, 4, 5 vers ou guère davantage – à capter la lumière, les reflets intérieurs, le détail frappant, en une forme de punctum, et par-delà des principes. Oui, cette poésie est un apprentissage intellectuel, moral, philosophique qui hâte la réconciliation d’avec la pensée, où écrire est certes un acte solitaire, mais qui implique que le poète se vive dans la communauté humaine, dans le monde qu’habite le poète, autant qu’un éclairage sur les grandes questions de la vie ou l’énigme de la mort. Cette poésie-action qui est agissante esthétiquement, fait impact sur l’univers intérieur du lecteur. Quelques vers suffisent souvent pour voir dans ces mots un refuge, et l’accès à un récit imaginaire plurivoque, un ensemble plastique et intellectuel où le liseur trouve en lui-même, dans la combustion de sa lecture, le secret du poète.
Les mots touchent à leur fin
le jour se lève sur le même jour
Il ne me reste plus
que des images
L’énigme reste entière malgré l’abandon, la perte, l’exil, la solitude, l’absence. Seule l’œuvre d’art autorise la réconciliation, la manifestation physique d’une lutte, contre soi-même pour finir. Le poème pose la question du corps, du corps aimant, du corps aimé, de la place du corps, du corps de l’écrivain qui fait présence dans ce qu’il écrit – sorte d’invité à des noces allégoriques. Là est à mon sens le signe universel du créateur. Lutteur, combattant la nuit dans les obscurités universelles, dans l’univers angoissé par essence du créateur.
Les ailes des papillons
brûlent au soleil
Je suis toujours en vie
Ainsi, quatrains, tercets, distiques, petits poèmes brefs, formes que j’aime particulièrement, poésie raréfiée, se faisant dans l’ellipse, le peu, tout entière rassemblée dans presque rien de matière, graphiquement baignant dans le blanc de la page. Là, selon moi, s’appuie le texte, c’est-à-dire dans un néant, où la vie mystique peut s’éployer, comme le regard peut rêver indéfiniment sur la neige, le désert, le vide si étrange des blancheurs. Sachant cela, on peut supposer que l’acte poétique se justifie par son existence autonome, par un travail de réflexion qui se ramasse soudain dans un mètre recherché dans une profondeur, dans l’abysse de la nuit du dedans. Le poème est miroir et pensée, réfléchi dans ces deux sens. Le poème est ici un poème au carré. Comme toute œuvre d’art qui parle d’elle-même et de l’objet qu’elle dessine. L’art conduit au poème, immanquablement et avec la hauteur véritable de sa puissance qui descend comme un message céleste.
Didier Ayres
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