Journal du ghetto de Lodz, 1939-1943, Dawid Sierakowiak
Journal du ghetto de Lodz, 1939-1943, septembre 2016, trad. Mona de Pracontal, photographies exemplaires Mendel Grossman, Henryk Ross, 348 pages, 20,90 €
Ecrivain(s): Dawid Sierakowiak Edition: Les éditions du Rocher
Du livre écrit en polonais par un jeune Juif, de ses quinze à dix-neuf ans, nous pouvons lire une traduction de traduction. Du Journal initial subsistent cinq cahiers, aux titres révélateurs : Lodz est occupée, Une faim continuelle, Nous vivons dans une peur constante, La bête assoiffée de sang, Il n’y a pas d’issue.
Du 28 juin 1939 au 15 avril 1943, le jeune Dawid a tenu son journal, relatant de manière précise les événements du ghetto et ceux qui parvenaient de l’extérieur.
Dans une langue claire, minutieuse, très descriptive, Dawid nous conte la vie passée au ghetto entre quête continuelle de nourriture et de travail, sa famille logée au troisième étage dans des conditions de promiscuité et de saleté extrêmes : le père, voleur invétéré même de la chiche nourriture de ses proches, la mère combative et adorée, la sœur Nadzia.
Le réalisme époustouflant nous insère directement dans les multiples blessures faites aux Juifs par un occupant « assoiffé de sang », relayé aussi par des responsables juifs de la sécurité. Tout y passe : les malaises causés par la faim, la gale, les poux, la saleté repoussante des draps, l’incommodité de chaussures usées, les rations sans cesse rabotées des aliments de première nécessité, les nouvelles toujours mauvaises des déportations et des traitements infâmes infligés aux populations juives…
Dawid excelle, en dépit de son jeune âge, à décrire le quotidien, sans une once de plainte, sans une once de sentimentalisme. La faim, la maladie, la gêne constante, la faiblesse des corps sont explorés d’une manière anatomique, documentaire. On est saisi d’émotion et d’horreur devant ce qui s’énonce sous nos yeux de lecteur : rien, non, vraiment rien ne nous est épargné des souffrances, de l’hiver, de la faim qui tourmente, de la crainte de mourir, avec si peu d’espoir de voir finir le conflit.
Au fur et à mesure du journal, le narrateur a de plus en plus de mal, vu la faiblesse de son organisme, à lire, à écrire, sans être sans cesse taraudé par la faim qui le ronge.
L’alternance des textes et des photographies favorise la reconstitution d’une époque, avec ses décors ravagés, la mine effondrée des petits et des adultes asservis, la vie grise et morne dans le ghetto. Les portraits des enfants décharnés sont saisissants.
À l’instar du journal d’Anne Frank ou des témoignages directs sur les camps, l’ouvrage de Sierakowiak nous plonge dans la détresse humaine, vue par les yeux d’un jeune à la maturité aiguisée. L’analyse qu’il nous procure est un témoignage bouleversant sur notre condition humaine.
Un livre admirable, de bout en bout.
Philippe Leuckx
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