Journal du Coureur, Jean-Claude Hauc (par Philippe Thireau)
Journal du Coureur, Jean-Claude Hauc, éditions Tinbad, novembre 2024, 74 pages, 14 €
Edition: Tinbad
Deux autres, juste à côté, sont enlacés
Sur une pierre jaunâtre.
Il lui pince la chair potelée du dos en disant : « Eh, petite ».
Et elle le pince à son tour (…)
Sur les pauvres voix, sur la pauvre petite plage,
L’orage jette une ombre légère, blanchâtre. Ici finit l’Italie,
finit l’été.
Pier Paolo Pasolini
La Longue Route de Sable
Partir. Comment mourir un peu, puisque mourir ne se peut ? En faisant retour en mémoire, en lieux. En cherchant quel morceau de chairs saisir – à soi, à l’autre – au long du voyage pour que le souvenir du premier cri restaure les traits ravinés de la face.
Partir en automobile pour laisser au temps le temps d’advenir. Une machine pour scruter l’âge, accoucher l’âme.
Pier Paolo Pasolini courant le Kairos dans sa guimbarde et bouclant le tour de l’Italie vers Trieste, dans La Longue Route de Sable, cherche sa plage, la vague qui l’emportera. Il trouvera l’une et l’autre.
Jean-Claude Hauc, un été pareillement ensoleillé, choisit de descendre au Sud, près de Montpellier, en automobile afin de saisir les paysages (ses vêtements vrais – sa peau ?), de se coltiner le temps avant de serrer les freins à Cassan, berceau de sa vie primeur. Dans son Journal du Coureur, il cherche en effet « à s’égarer dans les replis du paysage ». Tout en craignant de « s’enfoncer dans quelques brouillards malsains ». Mais qui court ?
Sous le bitume le sable. Chacun cherche sa mort sans y croire. Faire un tour, revenir. Revenir, c’est faire tomber la nuit. La nuit, c’est l’avant, la nuit, c’est le sommeil, la nostalgie de la vie vraie. Est-ce bien ce que cherche à prouver Jean-Claude Hauc dans son brillant et épuré Journal du coureur ?
Il fait retour sur sa machine à exister, son donjuanisme perdu dans la mathématique de la liste de Leporello, valet de Don Juan. Il s’en veut d’avoir mené une vie de conquêtes féminines, qui l’aurait empêché de travailler à devenir un écrivain, mot après mot. Un écrivain à l’arrêt sur la dorsale de la déferlante du sexe. On croirait lire Romain Gary se plaignant que son amour pour Jean Seberg « l’empêchait » – quasi citation.
Mais une femme l’attend, qu’il retrouvera finalement. Amour refuge ? Amour finitude ? Pour ce retour à l’autre devenu enfin sujet, il renoncera à la jeunesse offerte d’une adolescente. Liste de Leporello close.
Ce voyage dans la peau, épiderme et derme profond, est accompagné de la musique de Mahler, le compositeur des dissonances. La musique est vie, la littérature raconte.
Comme Mahler se perdra dans Alma, son épouse qui renoncera à « elle » pour lui, Hauc quittera Cassan, lieu d’un abandon, celui de l’adolescente offerte et de toutes les conquêtes possibles, pour lui « retrouvé ».
Cette restauration passe par une nouvelle lecture du corps. Le corps s’était perdu dans le sexe des femmes. Corps flottant, en attente. Sans le corps, l’âme fuit la caresse de la main. Un corps n’est jamais le sien propre, il est celui d’un autre qu’il faut débusquer et manger.
Le Journal du Coureur le nomme enfin. C’est celui du grand-oncle perdu, emporté par une balle ennemie en Serbie en 1916. Documents et photographies retrouvés à Cassan, la matrice. Hector, le coureur de fond ! Hector, enfoui dans la chair du narrateur par volonté familiale !
Le temps d’aborder le monde, yeux ouverts, est venu.
Philippe Thireau
Écrivain et critique littéraire, Jean-Claude Hauc a codirigé de 1976 à 1993 la Revue littéraire Textuerre. Il a publié une vingtaine de romans et récits, ainsi que des ouvrages sur les aventuriers et les libertins du XVIIIème siècle. Il fait partie de la rédaction des Lettres françaises.
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