Journal des canyons, Arnaud Devillard
Journal des canyons, 29/03/2012, 245 p. 18 €
Ecrivain(s): Arnaud Devillard Edition: Le Mot et le Reste
C’est en 2008 qu’Arnaud Devillard – et Cécile – partent en touristes dans les fantastiques paysages désertiques des États-Unis, dans les pas d’Edward Abbey (1927-1989), personnage emblématique et contestataire, le plus célèbre des écrivains écologistes de l’Ouest américain, auteur notamment en 1968 de Désert solitaire. Le Journal des canyons est le récit de ce voyage : Arnaud Devillard nous raconte simplement, au jour le jour, comment ça s’est passé. Un récit assez marrant, mais qui finit par donner un sentiment un peu tragique, par (me) mettre mal à l’aise : qu’est-ce que c’est que ce cauchemar ? Comment pouvons-nous nous faire piéger ainsi ? Comment faire ? Comment ne pas avoir envie d’aller voir ce qui est présenté – et qui est sans doute réellement – comme des merveilles de la nature ? Le problème c’est que tout le monde détient la même information, part avec le même besoin plus ou moins créé, le même guide, le même créneau dans le temps. Et qu’à l’autre bout les vautours attendent de pied ferme la masse – la manne – des touristes. Et que ça devient un enfer.
Après une escale à New-York et, déjà, un rappel de quelques égarements dans lesquels notre société semble se complaire, puis un passage obligé à Las Vegas, pire encore, là où « même l’illusion est une illusion », nos deux touristes prennent la route dans un « désert de poussière gris-rose » et arrivent en Arizona, le pays du « désert intuitif et sans peine. Rentable aussi ». Edward Abbey disait que « les parcs nationaux n’ont pas besoin de routes de macadam, de complexes hôteliers, de gaz d’échappement, d’embouteillages et de bateaux de plaisance à moteur ». C’est exactement ce que les touristes trouvent en arrivant dans l’Ouest des États-Unis. Quarante ans après Désert solitaire « les parcs nationaux sont devenus des parc d’attractions, des centres commerciaux, l’argent gouverne tout et tout le monde ». Le Parc national de Zion, l’Arizona, Le Lake Powell, les Canyonlands et la Colorado river, Moab et les Arches, les vestiges anasazis de la Mesa Verde, Petrified Forest, Monument valley – dont la visite, épique, est l’un des morceaux de bravoure de ce récit… Certainement des endroits magnifiques, assurément une nature exceptionnelle, mais il faut bien le dire : « la seule aberration, ici, c’est notre présence ». Surtout celle de milliers de personnes au même moment.
Une fois quitté le motel, avalés les kilomètres sur la Highway – Utah, Colorado –, garé le gros 4X4 de location – il n’y a pas de petites voitures aux USA ? – et parcourus, sous un soleil accablant, les premiers hectomètres des sentiers balisés – parfois goudronnés – il faut reconnaître que les paysages sont grandioses – et qu’en un sens il est normal qu’ils soient accessibles. Ces « mondes inconnus, qui ne sont pas à notre échelle », cet « océan de grès rouge et rose », cette « brutalité statique », ces « points de vue sur la plus démente des sauvageries », sont courants ici où « tout est trop grand, trop fruste, rien ne correspond plus à des souvenirs de grand ou petit écran ».
Ce récit de voyage d’une virée aux US est une vive dénonciation – sur un mode très humoristique et avec beaucoup de dérision – du tourisme de masse, de son organisation et de sa récupération. On y parle aussi d’écologie, de musique – de country music – de cinéma (Kevin Costner), de littérature « voyageuse » (Hillerman, Isabella Bird, John Muir…) et de l’histoire de ces « terres indiennes » des Hopis, des Anasazis, des Navajos. Bref, d’une grande partie de ce qui fait la « culture » américaine. Alors, y aller ou pas ? Peut-être la littérature suffit-elle…
Les premières lignes : « Moab, Utah. Nous arrivons du nord-ouest par la State Highway 191. L’entrée du Arches National Park, un pont sur la Colorado River et la route devient Main Street. De part et d’autres, une enfilade ininterrompue d’agences de location de VTT, moto-cross, quad, des organisateurs de balades à dos de mule, en bus, en jeep, en raft. Des restaurants, des motels. Des magasins d’accessoires de randonnée. Des bars, des hôtels. Et là, une librairie indépendante, Back of Beyond books, nom emprunté à une raison sociale fictive que l’on trouve dans les pages d’un livre de Edward Abbey ».
Lionel Bedin
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