Journal d’un étranger à Paris, Curzio Malaparte
Journal d’un étranger à Paris, mars 2014. 350 p. 8,70 €
Ecrivain(s): Curzio Malaparte Edition: La Table Ronde
Ce livre de mémoires couvre une période précise de la vie de Malaparte, l’immédiat après-guerre 39-45. Elles sont rédigées en français pour l’essentiel, mais certains passages sont en italien (traduits ici bien sûr).
Curzio Malaparte nous offre ici un livre conforme à l’image que nous avons du personnage : traversé de contradictions, d’élans les plus nobles jusqu’aux sentiments les plus inavouables.
Ce journal est dans tous les cas passionnant. Paris foisonnant – juste après guerre – d’idées, de passions, de personnages célèbres, de débats et d’affrontements idéologiques et esthétiques. Sur les pas de Malaparte, revenu dans « son » Paris après 15 ans d’absence et un internement politique sous Mussolini en Italie, nous croisons le tout-Paris intellectuel et artistique. Malraux, Camus, Mauriac, Louise de Vilmorin, Nimier, Orson Welles et tant d’autres. C’est la vie des salons, où chacun veut briller à sa manière : provocations, minauderies, péroraisons.
Parfois, ces rencontres mondaines donnent lieu à des moments cocasses, étranges, surprenants. D’autres à des rencontres ratées, voire de franches hostilités. Ainsi avec Albert Camus :
« Je m’aperçus tout de suite qu’il me regardait avec haine. »
Ces gens hostiles, Malaparte en aura son lot. Il doit cela à l’époque. Avant de s’engager dans la résistance au fascisme, il a été un temps mussolinien. Les Français, en particulier, ne lui pardonnent pas tous. A propos de la rencontre avec Camus encore, qui n’y va pas de main morte :
« Je me rappelle que, à un certain moment, quelqu’un m’ayant demandé quel genre d’homme était ce Bottai, ancien ministre fasciste, etc., Camus dit sentencieusement que des hommes pareils devaient être traduits devant un tribunal et être ensuite fusillés. »
D’autres rencontres seront plus positives, celle avec Maurice Schumann est un éblouissement pour Malaparte.
Malaparte émaille ses souvenirs de sentences philosophico-idéologiques. Plus ou moins heureuses, parfois franchement malheureuses. Mais nous sommes là devant le déroutant personnage qu’il fut. Il règle ses comptes avec Sartre, l’art allemand, la classe bourgeoise. Il fait ici l’apologie de la France, là il dit son désespoir devant ce pays. Il pleure aux malheurs des Juifs, pour dire un peu plus loin qu’ils veulent dominer le monde ! Il revient enfin, sans cesse, à ce qu’il appelle la « maladie marxiste » qui s’empare du monde.
Au-delà de ce fatras – en fait dans ce fatras – le lecteur trouve son compte : derrière le destin personnel de Malaparte se dessinent les courants de pensée de l’Europe d’après-guerre, l’effervescence de la vie parisienne, l’émergence des grandes figures de ces décennies.
Et puis on ne peut terminer sans évoquer les aboiements de Curzio Malaparte ! Pas les énoncés violents, non, les aboiements. Car il a une étrange passion : partout où il est, il aboie, le soir en particulier, et il écoute les chiens des environs lui répondre. Il revendique le droit d’aboyer et se heurte souvent à l’hostilité du voisinage (on peut comprendre les voisins !) et des autorités. Du coup il change de lieu !
« Mais ce matin est venu me trouver le gendarme de Crans, pour me prier de ne plus aboyer la nuit.
- Vous n’êtes pas un chien monsieur.
- J’aime aboyer avec les chiens la nuit. Je ne fais rien de mal.
- En Suisse on ne fait pas des choses pareilles, monsieur. Les règlements vous l’interdisent.
- Merci. Je ne le ferai plus. Mais je ne resterai pas en Suisse. Je retournerai en France. Là, on peut aboyer la nuit, tant qu’on veut. »
Très étrange Curzio Malaparte !
Leon-Marc Levy
VL2
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