Joseph Kaspar Sattler Ou La Tentation de L’Os, Vincent Wackenheim
Joseph Kaspar Sattler Ou La Tentation de L’Os, mai 2016, 208 pages, 30 €
Ecrivain(s): Joseph Kaspar Sattler & Vincent Wackenheim Edition: L'Atelier Contemporain
Piqûre de ver
« Ici la marche est bien une danse, une parade, mais laborieuse, l’os, si l’on peut dire, est tendu et arcbouté par l’effort, la tête vers l’avant, les épaules remontées. Le genou accompagne le mouvement, l’autre jambe bien tendue, dans une recherche d’efficacité et de rendement. Bêcher, et jardiner ».
L’incendie
« Ce que l’image suggère : le bruit de l’embrasement, le crépitement du feu, le fracas des murs qui s’effondrent, des poutres maîtresses qui tombent au sol.
La face de l’os observe, peut-être retient-elle son pouvoir d’attiser le feu, de souffler le vent, comme s’il s’agissait de faire durer le plaisir, de jouir du panorama ».
C’est un dessinateur d’exception, un artiste noir et sarcastique, que met en lumière ce livre d’art, car il s’agit bien d’un livre d’art, comme l’Atelier Contemporain en propose régulièrement. Un livre d’artisan savant, ne laissant rien au hasard. Chaque reproduction des dessins de Sattler est exceptionnelle, la biographie précise de l’artiste sans tableaux très éclairante – c’est un européen qui danse entre l’Allemagne et la France – cette danse macabre moderne est passionnante, portée par le regard précis de l’écrivain Vincent Wackenheim, par sa plume raffinée, profondément éprise de frissons littéraires. L’os rode, la mort est embusquée, comme dans les premiers films de Bergman.
L’écrivain opère par aplats, par de courts chapitres qui nous font voir ce qui s’ouvre sous nos yeux, cette Piqûre de ver où l’os poursuit sa marche destructrice, cette Maison chancelante où l’on croit voir l’os ricaner, cet Incendie, ce Brocanteur où l’os vend le gris de nos souvenirs. Vincent Wackenheim devine ce qui s’est dessiné et dessine avec ses phrases ce qu’il imagine. Décrire, c’est aussi imaginer, laisser la littérature s’aventurer dans le cœur noir, gris et blanc du dessin, traverser l’effroi qu’il figure. Tout dessin, toute toile, semble n’attendre que cela, qu’un écrivain s’en saisisse, non pour la dévoiler, mais pour dévoiler ses songes les plus secrets face à ceux de l’artiste de la pointe sèche. Les dessins de Sattler sont sombres et étranges, comme certains cauchemars, il passent par les gris, les beiges, ocres, bleus et marrons, et les noirs, parfois nets, d’autres fois plus troubles, comme voilés. C’est parfois un tremblement du trait, à d’autres moments reposé, mais la faux n’est jamais très loin.
Egalité !
« Le soleil, ni la mort : provoquant et sûr de lui, l’os fixe celui-là qui le regarde, prenant le spectateur à témoin de ses actes, les yeux dans les yeux, le mettant à défi de toute intervention ».
Ces dessins s’aventurent dans le monde de la terreur intérieure, la mort est là, ce crane, cet os aux aguets, courbant l’échine des vivants, qui ne vont pas tarder à chuter. Une Danse macabre moderneparaît pour la première fois en 1894, puis, augmentée en 1912, œuvre emblématique, connotée, codifiée, placée sous le signe de la modernité, inscrite dans une tradition de six siècles qui se perpétue et se renouvelle, l’illustration d’un texte qui n’existe pas… La danse devient notre danse. Une danse qui n’en finit pas de hanter les pages de cet ouvrage, où l’os tend ses pièges. Jeu du hasard, où l’on est sûr de perdre, roulette russe, destin, terreur ancienne, mauvais présage, accident, satire, c’est tout cela l’univers de Sattler, un dessinateur d’exception, graveur rare, et au bout du compte romancier de son temps – Ibsen le fascine et Jarry salue ses œuvres –, entre l’Allemagne et l’Alsace, la mort y faisait son chemin, l’artiste qui devine ce que l’on ne voit pas se penche sur sa planche à dessin, l’os apparaît, les humains tremblent, et le lecteur est une nouvelle fois sidéré par ce qu’il découvre.
Philippe Chauché
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