Identification

Jonas, Le requin mécanique, Bertrand Santini, Paul Mager (par Yasmina Mahdi)

Ecrit par Yasmina Mahdi 24.04.24 dans La Une Livres, Les Livres, Recensions, Jeunesse, Grasset

Jonas, Le requin mécanique, Bertrand Santini, Paul Mager, Grasset Jeunesse 2023, 15,90 €

Edition: Grasset

Jonas, Le requin mécanique, Bertrand Santini, Paul Mager (par Yasmina Mahdi)

 

Les automates en danger

Bertrand Santini (né en 1968, auteur reconnu pour la jeunesse, notamment pour Yark) signe ici un roman illustré qui a obtenu les Prix Libbylit et Millepages Jeunesse – une parodie des Dents de la mer. À MonsterLand, aux États-Unis, tout est artificiel : décors de plastique, spectacles faussement effrayants et interprètes en ferraille. Le parc d’attraction dépérit un peu dans une atmosphère de fête foraine bon marché. Là, « le vent dispersait des odeurs tièdes de barbe à papa et de pralines grillées. Les lumières du parc s’éteignaient une à une, métamorphosant les manèges en sortes d’immenses squelettes figés dans la nuit ». Les copies de vedettes du cinéma fantastique qui furent jadis célèbres peuplent cette réplique de Disneyland désenchanté, mais n’intéressent plus un public blasé et avide de violence plus crue. Fin d’un rêve américain et constat de notre monde actuel et de sa brutalité. Pourtant, entre les dinosaures et les anciens monstres de films de genre recyclés, l’amitié est bien réelle – une valeur.

Jonas, le requin à moteur (une copie du Carcharodon Carcharias) est menacé de finir à la casse ou « remisé au fond d’un garage ». Néanmoins, la nuit venue amène de l’irrationnel et l’ensemble des créatures mécaniques de MonsterLand, créatures qui se réveillent et s’inquiètent de leur fin prochaine. Or les robots ont bel et bien une âme car Jonas s’émerveille de la beauté de la baie de Los Angeles… Le souhait secret du pauvre engin de fer blanc est de s’évader pour « vivre la vie d’un vrai requin blanc ». Comme pour le Pinocchio de bois, Jonas garde l’espoir de se transformer en chair et en os ! Bernard Santini, dans son récit initiatique, n’omet ni les méfaits de la pollution ni la réalité de la prédation entre espèces animales, ni une certaine méchanceté humaine. En sous-texte, Santini évoque les dangers des nouvelles technologies et Jonas va l’apprendre à ses dépens. L’aventure va se poursuivre jusqu’au pays de la « Fée bleue [où] depuis le ciel, la banquise ressemblait à un lit de chantilly posé sur l’eau ».

Paul Mager (diplômé de l’École de cinéma et d’animation Georges Méliès, designer à l’Illumination Mac Guff depuis 2008) a conçu 14 illustrations pleine page et plus de 25 dessins petits formats. Pour ce, l’artiste a opté pour le noir et blanc, la mine de plomb, ce qui est un choix courageux et exigeant. Les nuances de gris varient en densité et laissent éclater la force du blanc, des éclats lumineux. Les détails sont précis et abondants, élaborés en traits, en ombres portées allant presque jusqu’au noir d’ardoise, puis reprenant une tonalité argentée. Quand Jonas se retrouve au large, l’excellent dessin représentant les reflets et les remous de l’océan impétueux ne sont pas sans évoquer La Grande Vague de Kanagawa d’Hokusai. Les paysages lunaires, les décors de MonsterLand, l’océan sous les éclairs, sont rendus graphiquement dans leur grande complexité. Les habitants d’Hollywood sont portraiturés dans le style de la caricature ou du dessin de presse.

L’ensemble de ce beau roman jeunesse est soigné et remarquable. Il s’adresse au jeune public dès 6 ans. Par exemple, dans le cas où cette fable féroce peut être lue à voix haute par les parents.

 

Yasmina Mahdi



  • Vu : 864

Réseaux Sociaux

A propos du rédacteur

Yasmina Mahdi

 

Lire tous les articles de Yasmina Mahdi

 

rédactrice

domaines : français, maghrébin, africain et asiatique

genres : littérature et arts, histoire de l'art, roman, cinéma, bd

maison d'édition : toutes sont bienvenues

période : contemporaine

 

Yasmina Mahdi, née à Paris 16ème, de mère française et de père algérien.

DNSAP Beaux-Arts de Paris (atelier Férit Iscan/Boltanski). Master d'Etudes Féminines de Paris 8 (Esthétique et Cinéma) : sujet de thèse La représentation du féminin dans le cinéma de Duras, Marker, Varda et Eustache.

Co-directrice de la revue L'Hôte.

Diverses expositions en centres d'art, institutions et espaces privés.

Rédactrice d'articles critiques pour des revues en ligne.