Jeux II - Contrepoint rétrograde (par Charles Orlac)
II-Contrepoint rétrograde
Je lis un livre
Tu livres un lit
Je porte un masque
Tu masques une porte
Je bois une coupe
Tu coupes du bois
Je vois mon père
Tu perds ta voix
Je vends des tombes
Tu tombes sous le vent
Je perds le temps
Toi tu tempères
Je compte les secondes
Tu secondes le Comte
J’ai pris le cachet
Dont tu cachais le prix
Je joue la montre
Tu montres la joue
III-Thème et variations
1. Propos sans fin
Promesse tenue d’une messe à minuit, prologue tous les soirs à de noires danses sabbatiques
– Blanche fiction de la nuit
Profane épanoui dans un hôtel de passe, en résidence et pour longtemps
– Noire fiction du jour
Propos à fleur de peau. Au sol, pétales qui détalent. Dans la tête, un dernier coup de pédale.
– Friction des tours de roues, du vélo entêté de ton crâne
Profusion d’armes nucléaires que la science a permise
– Noire fission de l’atome. Réussie.
Propreté âpre nettoyage et dure procédure
– Éviction des jungles urbaines. Devant la mer, cette fois c’est une autre paire de manches. Une terre en face, une terre ici mais aucune terre d’asile, aucun pays d’accueil.
Prochain et prochaine enchaînés l’un à l’autre en instance de divorce.
Prostituée morte d’un amour assassin
Prolixe en effet ce jeu le devient. La liste est trop longue des mots commençant par la syllabe « pro ».
C’est donc avec à-propos que s’achève ici ce thème et variations
2. Que fait-il ?
Il fait jour
Il fait nuit
Il fait froid
il fait soleil
Mais il ne fait pas neige
Il ne fait pas vent
Non ça ne se dit pas
Pas encore
Mais si l’on peut dire « il fait gris »
Pourquoi,
Ne pourrait-on pas dire « il fait bleu » ?
S’il fait soleil, il peut faire pluie ?
S’il fait jour, il peut faire matin ?
Comme il fait nuit, il pourrait faire soir !
Il fait clair, mais il ne fait jamais lumineux,
Il fait beau, mais jamais triste ou laid !
S’il fait doux le matin il pourrait faire dur le soir !
Mais non, ça ne se dit pas. Pas encore.
Ces propos peuvent sembler enfantins ; ils le sont.
Comme les mots de cette fillette de trois ans,
l’autre jour dans le train
qui, au sortir d’un tunnel, regardant par la vitre,
dit en toute logique à sa maman
– « Regarde maman il ne fait plus nuit,
mais il fait pluie maintenant ».
Charles Bruno Orlac
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