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Jérusalem, William Blake (par Didier Ayres)

Ecrit par Didier Ayres le 28.08.23 dans La Une CED, Les Chroniques, Les Livres, Arfuyen, Poésie

Jérusalem, William Blake, éd. Arfuyen, juin 2023, trad. anglais, Romain Mollard, 192 pages, 17 €

Jérusalem, William Blake (par Didier Ayres)

 

Énigme

Le voyage complexe qu’est le voyage du lecteur ici doit rester actif jusqu’à la fin du recueil, poursuivant une déambulation langagière pleine d’énigmes, de mots, d’épithètes et de noms propres qui dessinent comme une épopée tout autant articulée sur un récit que sur une musique ou un travail d’orfèvrerie au sein du langage. C’est en vérité une vision du monde – vision sujette à l’intellection. On ressent nettement que cette imagination est celle aussi d’un peintre, donc hanté par les images. On ressent nettement le peintre derrière le poète.

Oui, mais quelles images ? Breughel l’Ancien, Odilon Redon, toutes les versions classiques du thème de la Tentation d’Antoine, bien sûr Gustave Moreau. Enfin une peinture chargée de symboles et de clés subjectives. Et quels livres ? Un peu de l’Apocalypse, de la Légende des Nibelungen, d’Homère, de l’Enfer de Dante, et tout cela dans un art de la surcharge, un travail ressemblant en un sens à l’épopée de Milton.

Il reste que cette Jérusalem est une recherche spirituelle, par-delà même son opacité, sa pénombre, sinon de fait par son symbolisme profond qui exige des lexiques et de décrypter des métonymies. On pourrait peut-être avancer que cette écriture, par son flux musical – un petit peu wagnérien avant l’heure –, procède de mots inventés tout autant que de clairs approches chrétiennes du monde, de sa nature, de son essence énigmatique. C’est une écriture mythique au sens strict – c’est-à-dire faite d’une cosmogonie et d’une eschatologie.

Le souffle divin passa sur les collines du matin. Albion se dressa,

Animé d’une colère divine, éclatant, flamboyant de toutes parts autour

De ses membres redoutables. Il marchait dans les cieux, habillé de flammes,

Dans un fracas de tonnerre, parmi d’immenses éclairs éblouissants et des colonnes de feu,

Proclamant le message de l’éternité en formes humaines, en terribles

Révolutions d’action et de passion à travers les quatre éléments de tous les côtés

Entourant ses affreux membres. […]

Pour tout dire, j’ai eu l’impression d’une forge, de la forge de Vulcain transporté dans l’Angleterre contemporaine du poète, sachant que celui-ci n’hésite pas à saturer sa poésie d’une langue lyrique, chantée et profuse. Nous ne sommes pas dans une expression squelettique, y compris en voyant dans ce poème le geste du graveur, mais dans une œuvre de surcharge, un poème qui ne cesse d’ajouter, et je me suis senti parfois dérouté, ne sachant pas avec certitude ce que le poème voulait me dire. C’est un recueillement tonitruant que cette lecture, une méditation ouvragée et prolixe. Là l’intérêt de certains mots ou noms propres capables d’agir beaucoup avec peu de langage, et faire jaillir le poème de ses sèmes obscurs, ou plutôt polymorphes.

Cette Jérusalem fonctionne comme une anamorphose, une sorte de « dessin dans le tapis », que le défrichage n’épuise pas, car ouvrant sur la totalité d’un imaginaire. Du reste, il s’agit ici d’épopée chrétienne, de poèmes évangéliques, participant aussi bien de l’Ancien que du Nouveau Testament. Cela n’entrave nullement son épopée de se rapprocher des grandes œuvres (EnéideOdysséeParadis perdu…).

Je voudrais simplement conclure avec une comparaison susceptible de rendre l’activité vivante de cette œuvre au travers d’un mode artistique récent, avec la bande dessinée, en rapprochant donc cela du travail de Druillet, qui dresse lui aussi des épopées dessinées pour livrer au lecteur une sorte d’obstination relevant de la plénitude graphique – sans doute Druillet est-il lecteur de Blake, je n’en doute pas ? Mais finissons là en écoutant un petit peu plus de cette Jérusalem traduite avec précision par Romain Mollard.

Et les sens de l’homme se rétrécissent sous le couteau de silex,

Dans les mains des Filles d’Albion parmi les temples druidiques,

Par ceux qui boivent leur sang et le sang de leur engagement […]

 

Didier Ayres


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A propos du rédacteur

Didier Ayres

 

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Rédacteur

domaines : littérature française et étrangère

genres : poésie, théâtre, arts

période : XXème, XXIème

 

Didier Ayres est né le 31 octobre 1963 à Paris et est diplômé d'une thèse de troisième cycle sur B. M. Koltès. Il a voyagé dans sa jeunesse dans des pays lointains, où il a commencé d'écrire. Après des années de recherches tant du point de vue moral qu'esthétique, il a trouvé une assiette dans l'activité de poète. Il a publié essentiellement chez Arfuyen.  Il écrit aussi pour le théâtre. L'auteur vit actuellement en Limousin. Il dirige la revue L'Hôte avec sa compagne. Il chronique sur le web magazine La Cause Littéraire.