Jean-Jacques Schuhl, Du dandysme en littérature, Guillaume Basquin
Jean-Jacques Schuhl, Du dandysme en littérature, septembre 2016, 200 pages, 30 €
Ecrivain(s): Guillaume Basquin Edition: Editions Honoré ChampionLe Dandysme est apparu en Angleterre au 18ème siècle. Ce fut un mouvement post-révolutionnaire qui concernait les membres de la classe moyenne aussi bien à Londres qu’à Paris et ce dès 1790. Initialement associé à la mode élégante et au langage raffiné, « le dandysme qui est une institution en marge de la loi possède un code des lois rigoureux auquel tous ses sujets sont strictement soumis, mais leurs caractères individuels peuvent être ardents et indépendants » (Baudelaire). Sa description de la dichotomie inhérente au dandysme entre dissidence et appropriation, excentricité et uniformité, peut s’appliquer aux mouvements punks et gothiques ainsi qu’aux travestis et aux mouvements de l’avant-garde : il s’agit d’expressions faites pour repenser l’ordinaire et le fétichisme et visant à illustrer une perception plus large de la réalité, opérant dans les cadres périphériques de la dissidence.
L’apparence raffinée du dandy a ainsi été associée à une indifférence affectée. Et l’on connaît bien, parmi les dandys autoproclamés, Oscar Wilde, Salvador Dali ou encore Andy Warhol, Guillaume Basquin démontre combien et comment Jean-Jacques Schuhl appartient à cette mouvance. Ses exigences sont aussi paroxysmiques que son besoin particulier d’absolu pour lequel le pareil et le même sont remplacés par l’autre, le différent. Son dandysme permet de franchir une frontière, de changer de corps, de toucher au plaisir, à la jouissance et, en conséquence, aux possibilités d’angoisse puisque les certitudes se voient interpellées. Schuhl reflète à travers son œuvre la continuité de la rébellion esthétique. Son travail n’utilise pas cependant des éléments de surprise ni se transforme en exercices épuisants : il préfère les dérapages qui révèlent ce qu’il advient lorsque les styles archétypaux des cultures pop rétro et contemporaine sont effectivement assumés mais en une suite de détournements.
Schuhl reste un iconoclaste qui ne craint pas de rire de tout. Et en premier chef de ce qui lui tenait le plus à cœur : l’art et la littérature. Basquin propose un vaste tour d’une œuvre qui articule poétique et politique d’un auteur capable d’assumer ses propres contradictions et de torpiller – si nécessaire – ses propres affirmations. Une telle expérience ne peut laisser indemne puisque le saut et l’éclat des quelques livres de celui qui se dit « L’Oisif » créent un transfert. Il nous désaxe de nos paysages, de notre assise, de notre sécurité, de nos désirs. S’y inscrivent des gerbes divergentes de sens en une confrontation avec la différence et ses filets de « sans ». Schuhl comme les idoles Pop que sont les Rolling Stones joue du pourrissement de la société qu’à la fois lui et eux singent et malmènent dans leur miroir aussi déformant qu’en phase avec ceux qui croient s’y reconnaître. Mais ni Mike Jagger, ni J-J. Schuhl ne sont dupes de leurs jeux. Ils s’amusent à produire une neutralité maximale mais en cultivant une « singularité du rendu ». Telex n°1 comme Ingrid Caven répondent à cette double postulation.
L’auteur aime à se sentir plus ou moins haï par le commun des mortels et être adulé par des « happy few » dont la qualité laisse néanmoins beaucoup à dire. C’est là toute quadrature du cercle de Schuhl qui se veut autant « estampillé anonymement » que reconnu au sein de la reproduction de la société des spectacles. Il cherche ainsi à décevoir les attentes du lecteur en cultivant certaines ténèbres pour les jeter sur la scène littéraire. Et ce, non pour proposer des odes funéraires mais faire souffler un vent neuf surgi du silence et de la nuit. L’œuvre n’a plus rien à voir avec un charme mais avec un dépouillement. C’est pourquoi franchir son seuil ne procède pas d’un leurre même si l’ensemble des livres ne fait que l’illustrer.
Jean-Paul Gavard-Perret
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