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"Je suis un homme écrit" - La beauté de vivre de Jean-Paul Dadelsen

Ecrit par Didier Ayres 21.05.13 dans La Une CED, Etudes, Les Dossiers

 

Petite discussion sur La Beauté de vivre de Jean-Paul de Dadelsen

 

Pour tout dire, cette petite étude est écrite sous la dictée morale d’une intention et d’un goût personnels, que ce livre de Jean-Paul Dadelsen est venu raviver et éclairer avec franchise. Car, grâce à la lecture du livre hybride de cet auteur alsacien que certains connaissent, j’ai retrouvé en moi de difficiles interrogations qui méritent peut-être d’être écrites aujourd’hui. Le poète voit le jour en 1913, et ce livre sort en librairie pour la célébration du centenaire de la naissance de l’auteur. Ce n’est pas à proprement parler un recueil de poèmes, ni un livre de correspondances, ni encore un livre de souvenirs, et l’éditeur a choisi un angle d’attaque très original au regard de ce projet de célébration de l’anniversaire du poète, et a réuni des lettres, poèmes et témoignages qui retracent les tout premiers pas littéraires du poète, en regardant ce que celui-ci produisait autour de sa relation affectueuse et tendre avec son oncle Eric. Un poète était en train de naître, et on le voit s’épanouir en ses années de jeunesse, au milieu de cette relation étroite qui de 1929 à 1936 liera les deux hommes, entre Strasbourg et Paris notamment.

Cela dit, je n’explique pas pourquoi je me permets quelques notes congrues sur ce livre. Car, j’y vois, et peut-être est-ce une lecture oblique que je fais là, la manifestation d’un état très net du rapport de la poésie au réel, ou encore du poète à la réalité. De ce fait, il faut questionner cette idée assez ancienne des êtres de papier qui agissent comme des êtres pourvus d’entrailles, et se demander si les êtres pourvus d’entrailles n’agissent pas, par contamination, comme des êtres de papier. Car, c’est là devant moi un Jean-Paul de Dadelsen en chair, vivant, au détour d’une heure nocturne où le poète écrit à son oncle dans l’encre épaisse de la nuit, ou quand il remercie pour une chemise ou un livre qu’il reçoit, qui est, en réalité, un être de papier qui agit comme une ombre sur l’être d’entrailles.

À toi, cher Oncle Eric, ces quelques vers qui ne veulent qu’être sincères ; sains et forts, sans vaine recherche d’une forme subtile, non sentie, en témoignage de cette force que, comme moi, tu as dû sentir s’éveiller en toi, étant jeune, et de mes aspirations qui, j’en suis certain, furent également celles de ta jeunesse !

Ces quelques lignes laissent entendre à mon sens comment l’être de papier, qui est en vérité ce poète naissant pour les lecteurs que nous sommes, est lui-même, parce qu’il naît à la poésie, absorbé par la vision de papier de la réalité. Donc, quittant ce monde d’entrailles, il va vers le poème, qui, par retour, explique ce qu’il est, lui, comme homme physique. Je complique sans doute beaucoup les choses, mais je pense, par exemple, que le mot frappant de biographe, que de Dadelsen utilise dans un courrier de novembre 1933, résume brutalement par sa sémantique la question de la coupure de la vie et de l’écrit. Ainsi, on peut imaginer que ce mot de biographe, biographe que le poète imagine plonger dans sa vie d’alors et qui retrouverait peut-être ici ou là des vestiges de quelque chose que fût sa vie, se décompose bien en bio et graphe. Coupure de la vie et des mots, du graphème et de la vie physique, écriture d’une vie, vie écrite, ce que l’on peut se dire parfois : « Je suis un homme écrit ».

De fait, il y a deux nuits de là, j’ai imaginé cet homme-écrit, pour faire la lumière sur ce mélange complexe de la poésie et de la vie, sur la porosité bien connue de la littérature à ce qui l’entoure, en même temps que sa parfaite autonomie. Et cette beauté de vivre, livre très poreux, voire hybride comme je le disais tout à l’heure, laisse voir comment se forme une destinée, non pas du point de vue social de la vie publique du livre, mais comme un homme, un jeune homme en l’occurrence, vers une qualification de papier, vers le dépouillement d’une vie sans corps, si je puis dire. Et pour exemple ce poème :

Poème en forme de fugue.

Hommes, vous qui êtes de mon sang et de ma chair, voici que ce n’est plus moi qui viens vers vous et qui vous parle –

car je suis un être de mensonge, un être de vacuité et j’ai votre pauvre impatience –

mais il y a en moi un rythme qui dure et une voix qui me force et s’impose et s’épanouit et chante plus haut que toutes les chansons qui sont de moi.

Naissance à la vie sans entrailles et à la double nature d’écrire, au fluage du poème qui se fraie un passage comme une entité off-shore, extraterritoriale, qui cherche au milieu de nulle part. En ce sens, le livre se termine ou presque, sur une belle illustration de la vie comme un poème, avec quatre strophes ou chapitres écrits par de Dadelsen pour la naissance d’un certain Jean-Louis Hoffet, et qui est comme une explication de texte de ce que toute destinée humaine requiert de pouvoir symbolique, et d’insignes écrites, voire d’héraldique poétique, d’oriflammes textuels. Joie donc de connaître que les Parques se sont penchées sur des berceaux divers, et que le poète est là pour épingler de son aiguille de feu la petite aigrette folle du langage. Cette Beauté de vivre en témoigne peut-être.

 

Didier Ayres

 

La Beauté de vivre, J.-P. de Dadelsen, ed. Arfuyen, 2013, 12,50 €

 

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A propos du rédacteur

Didier Ayres

 

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Rédacteur

domaines : littérature française et étrangère

genres : poésie, théâtre, arts

période : XXème, XXIème

 

Didier Ayres est né le 31 octobre 1963 à Paris et est diplômé d'une thèse de troisième cycle sur B. M. Koltès. Il a voyagé dans sa jeunesse dans des pays lointains, où il a commencé d'écrire. Après des années de recherches tant du point de vue moral qu'esthétique, il a trouvé une assiette dans l'activité de poète. Il a publié essentiellement chez Arfuyen.  Il écrit aussi pour le théâtre. L'auteur vit actuellement en Limousin. Il dirige la revue L'Hôte avec sa compagne. Il chronique sur le web magazine La Cause Littéraire.