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Je suis seul, Beyrouk (par Dominique Ranaivoson)

Ecrit par Dominique Ranaivoson 06.12.18 dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Maghreb, Roman, Elyzad

Je suis seul, septembre 2018, 112 pages, 14 €

Ecrivain(s): Beyrouk Edition: Elyzad

Je suis seul, Beyrouk (par Dominique Ranaivoson)

 

Bref et bouleversant roman, à lire d’un seul trait avant de rester figé d’horreur par le final sous forme d’apothéose mortelle. Le narrateur, réfugié chez son ancienne amie qui s’est empressée de sortir après l’avoir caché, se remémore comment ses proches sont devenus les islamistes qui viennent de prendre possession de la ville. Craignant pour sa vie, il observe, écoute, réfléchit, interroge. Comment arrive-t-on à tuer la vie sociale, à tuer tout court tout contrevenant à la nouvelle loi ? « Qu’est-ce qui fait que des hommes, possédant leur tête et leur cœur, parfaitement conscients, instruits des choses de la vie, choisissent en toute connaissance de cause une voie qui mène vers les dénuements de la mort ? » (p.68). Et le texte de multiplier les qualificatifs : fanatiques, monstres, rebelles, extrémistes, fous de Dieu, geôliers, conquérants, exaltés, barbares et, pour finir, des « énigmes ». Et le narrateur de retracer sa propre trajectoire, depuis son aïeul bédouin, son frère islamiste et toutes les compromissions grâce auxquelles il est arrivé à intégrer la catégorie des nantis corrompus nommés les « parvenus qui ont remplacé les anciens colonisateurs » (p.69).

Cette richesse a certes permis à sa pauvre mère d’accéder à une villa mais a donné des arguments aux nouveaux maîtres qui mutilent en public, interdisent tout, enferment les femmes sous la burqa, patrouillent la nuit et menacent directement sa vie. Et de se comparer à eux : « nous sommes, je crois, tous des fanatiques, moi j’adore les biens illusoires d’ici, eux, ils croient tendre les mains vers les biens de l’au-delà » (p.88). Face à ses anciens proches devenus ses ennemis, il n’a plus qu’une obsession, sauver sa vie : « C’est à mon évasion que je dois penser » (p.72) ; il attend le retour de celle qui devrait l’« exfiltrer » (p.86) et le texte suit l’introspection qui est en même temps pour lui une lente préparation vers l’aube finale.

Ce texte analyse l’islamisme de l’intérieur comme la conséquence fatale d’une succession de drames personnels et comme l’aboutissement d’une décomposition sociale dont les responsables sont identifiés. Mais est aussi magistralement construit comme une tragédie classique : unité de lieu que cette chambre fermée et noire dans une ville africaine en bordure de désert mais qui n’est pas nommée, unité de temps en cette nuit de toutes les incertitudes, unité d’action dans une attente qui n’est qu’une préparation à la mort. Le lecteur pensera au Dernier jour d’un condamnédéplacé dans un contexte africain et dans une langue plus sobre qui sert aussi à déconstruire les images produites au Nord sur une question politique et sociale ramenée ici au niveau humain.

L’auteur mauritanien publié en Tunisie doit être lu et admiré par tous. La francophonie littéraire est une urgence absolue pour tenter d’entrer dans les mécanismes de ces « nouveaux nihilismes » (p.55) politiques qui, paradoxalement, produisent des bijoux littéraires.

 

Dominique Ranaivoson

 

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A propos de l'écrivain

Beyrouk

 

Beyrouk est né en 1957 en Mauritanie. Il a fait des études de droit et est journaliste. Il a créé en 1988 le premier journal indépendant de son pays. Il a publié deux autres ouvrages : Et le ciel a oublié de pleuvoir (roman, Dapper, 2006), et Nouvelles du désert (nouvelles, Présence africaine, Paris, 2009).

 

A propos du rédacteur

Dominique Ranaivoson

 

Dominique Ranaivoson est Maître de conférences habilitée en Littérature générale et comparée à l'université de Lorraine (Metz). Après une thèse sur la littérature francophone de Madagascar, elle travaillle sur les littératures francophones d'Afrique sub-saharienne, du Maghreb et de l'Océan indien. Elle a publié de nombreux articles dans des revues universitaires, des ouvrages critiques sur l'algérienne Assia Djebar, les malgaches Dox et Raharimanana, la mauricienne Nathacha Appanah, des actes de colloque, des études historiques (une biographie du malgache Jacques Rabemananjara, un dictionnaire des personnalités historiques de Madagascar), a publié les oeuvres complètes du malgache David Jaomanoro accompgnées d'articles, préfacé la réédition des romans coloniaux de Charles Renel et Jean d'Esme, des romans du malgache René Radaody-Ralarosy et du mauricien Emmanuel Richon et des recueils poétiques du mauricien Umar Timol et de la réunionnaise Catherine Boudet. Elle dirige aux éditions Sépia la collection "Chroniques" qui présente des recueils de nouvelles d'auteurs du Sud (7 titres : Madagascar (2), Maurice, le Katanga, le Congo, le Cameroun, les Antilles)