Je suis passé parmi vous, Michel Monnereau (par Philippe Leuckx)
Je suis passé parmi vous, mars 2016, 136 pages, 14 €
Ecrivain(s): Michel Monnereau Edition: La Table Ronde
Par un hasard qui ne se contrôle point, j’ai lu les deux livres de Michel Monnereau un 26 février. Le 26 février 2014, je lisais On s’embrasse pas ; deux ans plus tard, le vingtième livre de poèmes, Je suis passé parmi vous.
Si je rapproche ces deux œuvres d’un même auteur, c’est surtout parce que le terreau d’enfance semble souder l’approche par le même poète-romancier et un certain climat favorable à la nostalgie, au passé.
Ce vingtième livre de poésie de son auteur (depuis 1973) « remonte les rues du village mort » (p.53). C’est l’heure de rameuter les souvenances : « les cheveux blancs venus en silence » (p.51) honorent la tête du poète dont les « poèmes sont les rues/ que je n’ai pas su prendre » (p.47).
Le livre poursuit ce but, que tout poète digne de cette appellation se donne, « rejoindre l’enfant qu’on a laissé/ dans la première fureur du monde » (p.35).
C’est un poète, en marge, à l’écart, qui justifie son titre : « je suis passé parmi vous/ sans vous reconnaître » (p.32).
Structuré en cinq parties, le recueil privilégie les textes courts, aux titres transparents, et une écriture qui n’abuse pas d’images mais nomme les objets, l’heure (« friable du crépuscule », p.79), les déplacements d’un vagabond (« Nous sommes / pèlerins de vivre entre les lampes et la nuit ») (p.106).
En de belles élégies, Monnereau évoque combien sa marche nourrit sa pensée poétique, quand il s’agit d’être « l’écho des vies terrassées » (p.17) ou de décrire son statut de « veilleur pensif sur les gradins déserts » (p.38).
« Un brin d’automne entre les dents », beau déplacement de sens, apte à traduire ce que le poète ingère de ses promenades, « marchant au bord du temps » (p.87).
Solitude, divorce, mélancolie noire d’« après », puisque « tant d’autres souvenirs ont recouvert ma vie» (p.115), puisque « enfermé dans un dimanche d’hiver » (p.98), le poète sait trop bien les « cimetières effeuillés » (p.76) et qu’on « déplace des pans de temps, on convoque des parentèles, on s’y perd, puis on se tait. Les souvenirs se rendorment » (p.82).
Monnereau, « à cinquante ans de l’enfance », « seul aujourd’hui » (p.57), sait pourtant « ramasse(r) des prunes sauvages et quelques souvenirs » en un zeugme de toute beauté. Ainsi, la poésie figure-t-elle comme une part de revanche sur les années filées, en dépit des « amis partis et du silence (qui) déborde » (p.95).
La transparence de ces poèmes éblouit : « Taire en soi l’enfant qui veut aller dehors voir le soleil de plus près » (p.59).
La lucidité embroche des vers presque breliens : « en attendant il fallait se vivre/ veufs avant que d’être » : cet assaut de « fatigue courbe l’espérance » (p.71) et contrebalance un positif « Tu sais qu’être deux agrandit le présent » (p.105).
On pourrait multiplier à l’envi ces vers, ces bouts de lucide patience, d’éveil à l’autre âge, où « l’on entre par effraction » et le mot de la fin « vivre » relance la lecture, comme un défi nouveau, face à tout ce qu’on a pu lire de beau, de grand, de lucide, de vrai, de juste, au plus près d’un cœur.
Ce vingtième recueil (d’un jeune romancier de 68 ans – dont les trois romans sont parus entre 2006 et 2009) propose de splendides élégies quotidiennes et partageables.
Philippe Leuckx
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