Je reste plus longtemps dans la mer, Dražen Katunarić (par Didier Ayres)
Je reste plus longtemps dans la mer, Dražen Katunarić, éditions L’Ollave, décembre 2022, trad. croate, Martina Kramer, Vanda Mikšić, Brankika Radić, 88 pages, 15 €
Détails et sommes
J’ai très vite aperçu ce qui fait la forme prosodique de Dražen Katunarić, non pas parce que cela se devine facilement, mais parce que je me suis bercé de ses rythmes, allant du simple au compliqué, du détail à la somme. Je dis détail au vrai sens du terme, c’est-à-dire parfois jugé comme secondaire mais qui ici a toute son importance. Toujours est-il que ce balancement, je dirais du physique au métaphysique, m’a beaucoup séduit et m’a instruit sur ce que peut être la poésie européenne d’aujourd’hui. Je note au passage que la littérature croate semble très fertile, et des éditeurs français de poésie ou de théâtre par exemple font un travail autour de ce que l’on appellerait peut-être une nouvelle vague (?).
Ainsi le plus petit dénominateur commun devient la pierre d’angle de l’édifice de cette œuvre. Le réel s’appuyant sur différentes réalités, dont les plus petites qui trouvent là une justification d’une demeure à construire, c’est le poème qui s’en fait l’écho. Le texte est cependant plus vaste que ce qu’il décrit. De menues choses au milieu de grandes (comme un nageur est solitaire dans les eaux immenses des mers) nous plongent dans le sillon de l’enfance, où le poème est métonymique de grands sentiments, foi, clarté du propos, lyrisme sans emphase, vérités.
Le chant a été coupé à Pompéi
dans le grand théâtre
avec peu de public
une jeune femme avec un coquelicot cueilli
dans son poing serré
chantait un cantique
d’une voix fine et puissante.
Mais pas jusqu’au bout.
Ces moments de vie se détachent les uns des autres pour recouper la vie elle-même, comme un éthos pouvant figurer de simples images, de simples conceptions. Est-ce là la fleur manquante du bouquet, du poème que l’on ne cesse de chercher pour sa nature pleine et absente ? Sans doute.
Tout ce que j’ai dans ma poche je l’offrirais à ce drôle d’oiseau dans le pré. Mes clés, un mouchoir, des allumettes, de vieux billets de cinéma, il ne doit rien me rendre. Qu’il les prenne dans son bec, qu’il les apporte à un être céleste, par exemple, à un inconnu installé du côté gauche de l’azur, s’il s’envole sérieusement
Pour finir et pour conclure provisoirement, je dirai que le détail compte davantage que la somme, que l’ensemble se constitue naturellement de bouts, de micros-séquences, d’éléments nus du poème qui par leur éclairage, deviennent une œuvre. Là la voile pour le bateau, et une entreprise qui construit sans l’aide d’une déconstruction préalable mais agit sur le réel directement.
Dieu, aide-moi à poser le regard au bon
endroit
une araignée se déplace au coin du plafond
des moucherons invisibles
des orties poussent contre la haie
je ne peux trouver la clef dans un tas
de cailloux et d’herbe
Didier Ayres
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