Je n’ai pas tué mon père Euthanasie, en finir avec l’hypocrisie, Philippe Catteau
Je n’ai pas tué mon père Euthanasie, en finir avec l’hypocrisie, mars 2017, 142 pages, 14,50 €
Ecrivain(s): Philippe Catteau Edition: Le Cherche-Midi
Si l’on ne se préoccupe guère de vivre heureux et de savourer chaque instant de la vie, trouvant toujours matière à nous plaindre, à stresser et à regretter, ou encore à hésiter entre une chose et une autre, fuyant même la décision, il n’en va pas de même pour notre fin de vie que l’on souhaite, pour la plupart, paisible et entourée de ceux que l’on aime. La vision des mouroirs médicalisés nous effraie, que ce soit dans le silence feutré des hôpitaux ou dans la triste solitude des résidences pour vieillards, où dépérissent à petit feu celles et ceux qui ont perdu leur autonomie et dont la famille ne peut plus ou ne veut pas assumer la dégénérescence. La mort, dans nos sociétés condomisées, on la planque. On la veut discrète et qu’elle passe son chemin sans nous perturber. Souvent, c’est la souffrance de l’autre, celle de notre compagne ou compagnon, d’un père, d’une mère ou d’un enfant, qui nous renvoie nez à nez avec nos garde-fous et agit sur nous comme un puissant révélateur. La question surgit alors : « et si j’étais à sa place ? »
Cette question, Philippe Catteau se la pose dans son livre Je n’ai pas tué mon père… Euthanasie : en finir avec l’hypocrisie. Son père octogénaire, homme discret et attentionné, charpenté par une vie de travail et au service du bien-être de ses proches comme de ses employés, souffre d’un cancer du sang, accompagné d’hémorragies et de douleurs musculaires atroces. Mais il ne se plaint jamais. « Je n’ai pas le droit, dit-il, j’ai quatre-vingt-cinq ans et j’ai eu une belle vie ». Non, il ne se plaint pas. La douleur ne se partage pas. Jamais. Seuls ses cris déchirants font écho à l’impuissance de son entourage aimant – et c’est une chance tant ce n’est pas toujours le cas – submergé par une souffrance émotionnelle insupportable. Comment mettre un terme à une agonie inhumaine ? Autrefois, il y a peu, le médecin de famille faisait une injection de morphine. « On profitait d’un vide juridique, de la non-pénalisation de l’injection de morphine et de sa libre disposition à l’arsenal thérapeutique des médecins de ville. Une souplesse bien pratique, une once de liberté bien utile » nous précise Philippe Catteau. C’est ainsi que le propre père du vieil homme est « parti ». Mais « depuis, notre gouvernement et nos élus se sont emparés du sujet et l’ont traité comme tant d’autres, mi-chèvre mi-chou », sans se soucier des conséquences a posteriori et pour l’agonisant et pour son entourage.
Pour mieux illustrer son propos et dénoncer les limites et les contradictions du politique et du législateur, Philippe Catteau nous propose trois scenarii possibles. Dans le premier, il met fin lui-même aux souffrances de son père, ce qui aux yeux de la loi est un crime. Dans le second, pour être en conformité avec la justice et particulièrement avec la loi Léonetti du 2 février 2016, version à peine retouchée de 2005, où la science ayant toujours le dernier mot, le médecin peut déroger au non-acharnement thérapeutique réclamé par le patient, il demande avec l’accord de sa famille et bien évidement de son père « la sédation à domicile » que la loi justifie en prônant qu’un individu en état de coma de niveau 4 ne ressent plus rien et tant pis, si celui qui veille, compagne ou compagnon, « a l’impression d’être couchée à côté d’un mort », comme sa mère le lui confie tristement. Pire encore, la loi autorise la cessation de « la nutrition et l’hydratation artificielles » du malade en phase terminale, passant outre le fait que les effets physiques sur le malade sont une lente descente aux enfers pour l’entourage. « On n’ose pas autoriser le suicide assisté mais on va pouvoir faire mourir le patient en l’affamant et en l’assoiffant », s’insurge Philippe Catteau. Dans le troisième scénario, la solution retenue est en Belgique qui permet l’euthanasie où le vieil homme s’éteindra paisiblement. Néanmoins remarque l’auteur, ce « scénario n’est pas plus acceptable. Il est source d’inégalités puisque seuls certains pourront y avoir recours et surtout, il est infamant. Après avoir passé sa vie dans son pays, le citoyen français meurt ailleurs, comme un apatride ! Pire, comme un clandestin ! »
Pourquoi et comment nos sociétés, qui par ailleurs ne s’émeuvent guère de la mort qu’elles sèment aux quatre coins de la planète ni de ceux qui meurent de faim dans l’indifférence générale comme en Somalie et au Yémen actuellement, en sont-elles arrivées à cet imbroglio ? Le plaidoyer se fait alors réquisitoire. Contre le politique qui s’en lave rhétoriquement les mains, le dernier en date étant François Hollande qui a revu à la baisse consensuelle le point 21 de son programme (1) « Moi Président » et a passé la patate chaude au législateur qui a, d’une certaine manière, rendu caduques les directives anticipées que tout un chacun peut rédiger (2), le médecin pouvant y déroger ; le religieux qui s’en remet aux lois de Dieu, bien que la plupart furent écrites par l’Homme ; le citoyen qui attend, plus ou moins passivement, d’être pris en charge par les Institutions. Pourquoi est-on capable d’ouvrir un registre du refus du don d’organes parfaitement géré, le silence faisant acte de consentement tacite alors qu’une démarche similaire pour l’aide à mourir dans la dignité relève de l’impossibilité légale ? Pourquoi pas un registre révisable périodiquement où chaque personne qui le souhaite pourrait dès sa majorité indiquer si elle désire ou non et bien évidemment dans un cadre pathologique suffisamment grave, douloureux et sans espoir de guérison, recevoir une aide médicale à s’éteindre dignement, le silence faisant acte de refus tacite ? Une solution véritablement démocratique qui rendrait à chacun ce droit inaliénable de disposer de lui-même, droit réduit de plus en plus à une peau de chagrin.
L’ouvrage de Philippe Catteau, Je n’ai pas tué mon père, donne des clefs pour réfléchir à ce qui deviendra promptement un problème majeur du fait de l’augmentation de ce qu’il est convenu d’appeler les seniors, bien qu’il évite, à mon sens, de souligner certains aspects polémiques liés au contrôle de fin de vie, dont entre autres : le rôle de la science et particulièrement de la médecine de plus en plus éloignée des contingences humaines et qui peu à peu a la main mise sur notre corps et notre esprit qu’elle gère comme un concept technologique ; la pression de l’Ordre des médecins et des labos pharmaceutiques dont la maladie, bien plus que notre santé, est le fond de commerce capitaliste ; l’ambiguïté de certains partisans de l’euthanasie qui leur permettrait de solutionner en bonne conscience ce que leur égoïsme refuse, à savoir la charge affective et matérielle d’un proche atteint d’une maladie dégénérative tel l’Alzheimer ou encore pour des motifs plus scabreux comme le miroir aux alouettes d’un héritage alléchant, ce qui a certainement dû ocurrir avec la bonne vieille injection de morphine !
Il n’en est pas moins vrai que de nous imposer de végéter jusqu’à notre dernier souffle entubés jusqu’à la moelle, ivres de médicaments qui ajoutent leurs effets secondaires à une souffrance indicible, et pire encore de crever de faim et de soif, les yeux enfoncés dans les orbites, la peau tendue sur les os prête à se rompre et le corps tatoué d’hématomes est une euthanasie inversée en parfaite osmose avec ce que notre démocratie est devenue. Un royaume foutraque du mensonge et des petits arrangements selon le sens du vent.
Mélanie Talcott
(1) « Je proposerai que toute personne majeure en phase avancée ou terminale d’une maladie incurable, provoquant une souffrance physique ou psychique insupportable, et qui ne peut être apaisée, puisse demander, dans des conditions précises et strictes, à bénéficier d’une assistance médicalisée pour terminer sa vie dans la dignité ».
(2) Beaucoup l’ignorent, mais la loi de 2005 prévoit que « toute personne majeure peut, si elle le souhaite, faire une déclaration écrite, appelée directives anticipées, afin de préciser ses souhaits quant à sa fin de vie, prévoyant ainsi l’hypothèse où elle ne serait pas, à ce moment-là, en capacité d’exprimer sa volonté ». Elles peuvent être écrites sur une feuille blanche ou à partir de formulaires comme celui proposé par l’Assurance-maladie. Une écriture manuscrite est nécessaire mais si la personne ne peut les écrire elle-même, deux témoins doivent être présents au moment de la rédaction. Officiellement, elles sont valables trois ans et doivent donc être régulièrement renouvelées. Un élément important mais pas décisif. Si le praticien est tenu de les consulter et d’en tenir compte, il peut décider de ne pas les suivre. « Celui-ci reste libre d’apprécier les conditions dans lesquelles il convient d’appliquer les orientations que vous aurez exprimées », note le ministère !
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