Je n'ai de goût qu'aux pleurs que tu me vois répandre, Sébastien Bonnemason-Richard
Je n’ai de goût qu’aux pleurs que tu me vois répandre, janvier 2013, 99 pages, 14 €
Ecrivain(s): Sébastien Bonnemason-Richard Edition: Alma Editeur
Qui est-il ? On ne sait pas trop. Un homme amoureux, qui traverse le pays pour aller la rejoindre. Qui est-elle ? On le sait encore moins. Lycéenne encore. Plus jeune que lui. Il la veut. Il plaque tout pour elle, son boulot, sa ville, sa vie. Prend sa voiture et fonce la rejoindre. 2000 kilomètres à faire vers le Nord, rien que ça, jusqu’en Ecosse. Mais on est sans doute moins sérieux quand on a 17 ans. Ou alors, est-ce que le manque se vit différemment : « Je cherche chez les autres ce que j’ai aimé chez lui », dit-elle. Car lorsqu’il arrive, elle est au bras d’un autre. Lycéen comme elle. Ils s’embrassent. « On ne peut pas traiter les gens de cette manière. Et la jeunesse n’est pas une excuse », dit-il. Devant pareil spectacle, il ne sait pas réfléchir. Il fait ce qu’il n’aurait pas dû faire s’il avait su réfléchir.
Le premier roman de Sébastien Bonnemason-Richard n’est pas de ceux dont l’intérêt se limite à l’intrigue. L’amorce d’un résumé suffit sans doute à s’en rendre compte : la machine romanesque ne naît pas ici dans l’obsession du suspense à tout crin. Elle ne s’emballe pas ensuite davantage d’un excès étourdissant de péripéties, qui auraient lancé chez bien d’autres le personnage dans une course folle. On en serait presque étonné qu’il ait d’ailleurs une arme.
Non, ce qui compte sans doute, dans l’écriture de Sébastien Bonnemason-Richard, c’est une certaine qualité de silence, que les mots seuls savent générer par contraste étrange. Des chapitres secs et froids, quelques phrases qui s’éteignent parfois avant même leur point final de chute attendue. Bref c’est un style. Où le désir, l’amour éperdu, perdent aussi tout leur langage.
Il y a de belles pages. Les plus violentes, sans doute. Celles qui racontent le sexe brûlant entre ces deux amants secrets sont parmi les plus réussies du roman, qui emprunte son titre à un alexandrin sublime de Racine. C’est aussi que la poésie a fondamentalement partie liée avec une telle qualité de silence, lorsqu’il s’agit de dire, sans les remplir paradoxalement, l’absence, le vide ou le manque. On creuse alors, avec Jaccottet, Baudelaire, Rimbaud, Lorand Gaspar, Vladimir Nabokov… Tous prêtent la caisse de résonance de leurs propres mots à cet infini d’amour moderne, qui ne sait plus se dire et qui se dit pourtant.
Frédéric Aribit
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