Je connais des îles lointaines, Louis Brauquier (par Philippe Leuckx)
Je connais des îles lointaines, mai 2018, 576 pages, 10,50 €
Ecrivain(s): Louis Brauquier Edition: La Table Ronde - La Petite Vermillon
Voici les « poésies complètes » d’un fou de Marseille et des voyages, explorateur né des contrées, son travail dans les Messageries Maritimes lui fait humer la mer et les lointains comme personne, à la fois en expert, en poète, en sensuel ouvert à l’autre monde (« la nuit de l’Amérique » ou « le vent d’Egypte (qui) sent le sable »). Mais il n’a pas négligé son port d’attache, sa ville phocéenne, dont il illustre l’âme, les quais, les places, avec ce pointillisme aigu des « souvenirs/ qu’une montée de crépuscule » avive ; et parfois, dans l’odeur d’un café, il fait bon s’arrêter : « asseyons-nous… pour reposer vos yeux/ Je veux que vous tourniez vers l’ombre votre tête ;/ Nous boirons des anis ruisselants et joyeux » (p.129).
Fidèle aux normes classiques, à la prosodie, ouvert à d’autres formes non rimées, comme il l’est assez facilement aux sollicitations du monde : « goût de forêt vierge », « l’insolite a crié pendant la méridienne », ou encore cet amoureux des rencontres renouvelées avec un passé enfui : « Rencontré Guastalla dans la rue Paradis/ où le temps du lycée et plus d’un demi-siècle ?/ Jeune, il avait un doux visage de marrane » (p.432).
L’ami fidèle de Gabriel Audisio sait tutoyer les îles, les « navires : sans faiblir ni se dérouter », avec le talent sûr qui pointe « l’ombre sur les bâches » ou « les toits noirs assis à quai » : un réalisme sans exotisme concerté puisque le voyage donne à décrire le monde comme il va, comme il vient avec ses bruissements, ses amours, ses sensualités, ses paysages, son goût sûr d’une errance :
XIII
« Quand je débarquerai après ce long voyage,
Je m’en irai d’abord au hasard dans la ville,
Je n’essaierai pas de me faire reconnaître,
Je ne chercherai pas ceux qui m’ont oublié (p.173)
…
Nous avons marché côte à côte dans les rues de tant de villes
Que parfois dans notre silence je m’éveille
Et me demande, une seconde, où je suis.
Hélas ! Ce n’est pas la rue de la Douane, à Malmousque,
Ni celle des pharaons dans la blanche Alexandrie,
Ni toutes celles des ports ou des villes dans les terres
Que nous regrettons, bien sûr, puisqu’elles sont le passé » (p.309)
Comme chez Larbaud, Pessoa ou Levet (qu’il lit d’ailleurs), le voyage est vecteur d’une connaissance intime, infinie des rouages du grand monde, avec ses rêves (« comment arrime-t-on les rêves ? », p.460), avec ses « rade foraine » et autres « navires sans nombre », de quoi nourrir durablement tout lecteur que fascine l’esprit même des voyages lointains, pour mieux se découvrir.
Philippe Leuckx
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