Jacaranda, Gaël Faye (par Philippe Leuckx)
Jacaranda, Gaël Faye, Grasset, août 2024, 286 pages, 20,90 €
Edition: Grasset
L’arbre Jacaranda peut sembler symbolique d’un faisceau d’événements : il est à coup sûr le symbole de l’arbre généalogique sous lequel s’abrite l’une des voix de cette histoire, Stella, étoile sous l’arbre de la tradition, image même du sacré bafoué par le massacre de 1994.
Sur fond de génocide au Rwanda, le personnage principal du roman, Milan, narrateur des faits, explore sur le long cours de 1998 à 2020 ses rapports à la fois complexes et clairs avec le pays d’origine, ses parents, sa famille de là-bas.
Les divers voyages à Kigali ou ailleurs lui ont permis de revoir une partie de sa famille, la mère de sa mère, des amis, et même d’avoir l’occasion de se donner un oncle dont il ignorait tout, Claude.
Cherchant à finaliser une thèse sur le génocide, Milan part à la fois pour se retrouver, et pour tenter de comprendre l’insupportable, l’inénarrable dans la souffrance des victimes.
Le jeune romancier – à qui assez logiquement le personnage emprunte nombre de traits et de parcours, sans biaiser d’aucune sorte – dévoile par pans une histoire tragique qui n’a pas de fini de questionner les habitants, comme les étrangers.
Sur plusieurs générations – Rosalie, Eusébie, Stella – le narrateur découd peu à peu les enjeux d’un attachement au pays martyrisé.
Il fait également connaissance avec des personnages hauts en couleurs, tel ce Sartre qui dans son capharnaüm a recueilli tous les enfants orphelins de la guerre, entouré de disques, de livres empruntés aux maisons laissées à l’abandon après les massacres ethniques.
Milan assiste aux procès des génocidaires, essaie de s’immiscer dans le tissu glauque, infernal des collines meurtries.
Mais l’histoire résiste : que sait-il en fait du départ de sa mère, de sa fuite ? Que connaît-il finalement de ses proches ? Et de lui-même ?
Avec beaucoup de talent, Gaël Faye nous fait entrevoir quelques lumières – sans oublier la foncière solitude, certes –, tout au bout du tunnel des années et de la tragédie.
Le romancier y va par petites touches, petites couches de réel, comme pour mieux s’assurer de ne pas nous égarer en chemin.
La description du Rwanda, d’hier et d’aujourd’hui, doit beaucoup à un naturalisme enjoué, où le pire peut parfois s’alléger de fête, comme les amis de Sartre et de Claude ont pris l’habitude de vivre, toujours près de tomber au cœur du volcan.
Le roman fêté par le dernier Jury Renaudot a suffisamment d’atouts pour accrocher sans complaisance l’émotion de ses lecteurs. Dans une prose sûre, le romancier déroule l’écheveau des événements tragiques.
Philippe Leuckx
Gaël Faye, né en 1982, est l’auteur de romans : Petit pays ; Jacaranda ; et de chansons. Le premier livre a reçu un accueil critique exceptionnel et nombre de Prix.
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