J’ai vingt ans, Matthias Vincenot
J’ai vingt ans, éditions Fortuna, mars 2018, 68 pages, 10 €
Ecrivain(s): Matthias Vincenot
La poésie de Matthias Vincenot s’exécute comme une chanson nous insufflant l’air qui manque, une nostalgie douce comme le refrain d’une mélodie que l’on fredonne encore, avec du sang neuf dans les circuits / « dans les anfractuosités de la mémoire » parfois ombrageuses, dans le flux de nos artères, de nos escapades et par toutes les veines du poème.
« J’ai vingt ans », affirme le poète Matthias Vincenot, le temps après tout n’étant (presque) qu’accessoire, puisque seules comptent les minutes d’enchantement qui nous maintiennent en apesanteur ; puisque l’on garde l’âge intemporel de ses vingt ans tant que le cœur bienveillant offre la possibilité des rencontres accueillantes, des roses, des sourires et des durables choses. Ainsi ce sentiment d’« Être parmi nous » qui fédère les amitiés :
« (…)
Nous sommes faits de l’écorce
Des amitiés centenaires
Indifférentes aux ressacs, plus fortes
que la force des choses
(…)
Nous harmonisons nos déséquilibres
Précieux
Et quand il faut
Nous ne craignons pas le silence
L’implacable réalité
Nous la mettons à distance
Pour être un peu moins vulnérables
Il nous reste notre évidence ».
Matthias Vincenot bouscule la chronologie, nous offrant par le poème-étendard le sang toujours réactivé des chansons de demain. « Quand je serai jeune »… écrit-il du haut de ses vingt ans endossés à contre-temps dans l’air libre, la résistance à « l’implacable réalité » dressée avec les poings généreux du poème levé pour engager le bonheur de vivre. « Je serai libre pour toujours / Et je jouerai à avoir peur »…
Après le Vivre-Écrire d’Un autre ailleurs (son premier livre, aux Lettres du Monde, en 1998) jusqu’à Génération deux mille quoi(aux éditions Fortuna, en 2015), il entonne pour son 15erecueil : J’ai vingt ans, sur l’air du poème qui regarde en avant, l’espoir têtu, solidaire comme les vraies amitiés fortifient au-delà du temps qui passe et portent nos cheminements en les jalonnant de leurs belles références (« On est toujours l’ancien d’un autre ») :
« (…)
Dans le regard des autres
On est ce qu’on devient
Remontons en selle
Tant qu’on ressent le vent
Et qu’on reste rebelle
Au lent délitement
C’est que la vie nous porte
Que le regard des autres
C’est d’abord le nôtre
Que la réalité
N’est que ce qu’on en fait
Et qu’on passe parfois
Sa vie à la chercher
Un café en terrasse
Dans l’espace que fait
La brume des jours lointains
On se retrouve enfin
Comme on tente d’être
Plus ou moins »
Et « la froide réalité » peut bien se tenir face à la confiance accordée aux autres, à la ronde du temps que le poète affirme sans cesse à renouveler, à partager, sans saper les socles (« À vouloir tout effacer, on oublie ce qui doit/ s’écrire »).
Une nostalgie salutaire pointe, forte de ses pieds-de-nez lancés au quotidien morose, restituant le poète dans sa posture authentique : posté à l’avant-garde du temps et n’oubliant pas les pierres édifiées dans le passé, il regarde le monde et en parle, lucide, et prend position loin de l’image édulcorée du poète perdu à perte dans ses rêves. Ici le rêve est salle d’attente pour un rendez-vous engagé sans arrêt (« Remontons en selle ») avec un réel revu et touché par les mots vrillés à « la force de la patience », désolidarisés des « importuns », « contre les empêcheurs de rêve », noués à l’espoir intarissable qui alimente les sources vives (« Et c’est lorsque la viesurprend / Qu’elle se fait// Et qu’elle peut être ce rêve/ Dans la froide réalité »).
« Moi je suis de l’époque des albums photos
Du repos le dimanche, quand rien n’était
Ouvert
Quand on prenait la peine de cultiver l’ennui
(…)
Je suis du temps béni des débats politiques
Des joutes enflammées, des cohabitations
(…)
Nous avions nos passions, nous avions
nos logiques
Nous discutions aussi, nous prenions position
Je me souviens si bien de nos naïvetés
Et de la folle envie de ne pas renoncer
(…)
Dans la cour de récré, la guerre pour de faux
S’en croyant protégés, notre belle illusion
Les conflits étaient loin, dans la télévision
On pouvait sans problème avoir le cœur
sensible
On n’imaginait rien de tout ce qui viendrait
C’était avant le temps des guerres invisibles »
Le poète sait peser le cours du temps, chanter la course à contre-courant, aller en avant / de l’avant. Le poète Matthias Vincenot est ce chroniqueur-troubadour-là, à nous offrir « l’éternité dans un instant ».
Murielle Compère-Demarcy
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