J’ai été Johnny Thunders, Carlos Zanon
J’ai été Johnny Thunders, mars 2016, trad. De l’espagnol Olivier Hamilton, 321 pages, 22 €
Ecrivain(s): Carlos Zanon Edition: Asphalte éditions
La soumission aux formules consacrées est une facilité qui ici, malgré tout, s’impose : n’est pas Johnny Thunders qui veut ! Carlos Zanon nous conte la trajectoire de Francis, « Mr. Frankie », dont la première analogie avec le héros new-yorkais est la musique, le rock. Mais qui se souvient de Johnny Thunders ?
Qui se souvient de ce guitariste né à New-York, qui rejoint le groupe qui deviendra le mythique New York Dolls ? Il quitte ce groupe pour fonder en 1975 les Heartbreakers avec le bassiste de Television. Il entame une carrière solo à partir de 1978. Il meurt en 1991 à la Nouvelle-Orléans. Il reste la musique dont l’album LAMF (like a mother fucker), emblématique du mouvement punk.
Francis a été à Barcelone un rocker adepte de cette musique et qui a connu son heure de gloire locale avec un ou deux albums. On le retrouve dans cette même ville quelque trente ans après, sans le sou, ventru, avec dans la tête des souvenirs et surtout la volonté de prendre un nouveau départ ; il cherche un travail régulier pour pouvoir voir un fils qu’il n’a pas beaucoup vu et aider financièrement à son éducation, d’autant qu’il doit passer devant un juge en raison d’une pension alimentaire qu’il n’a pas payée.
Jusque-là, l’affaire semble banale, celle d’un rocker revenu de ses rêves d’absolu, sauf que, étant désargenté, il va vivre chez son père dans un appartement miteux. Et là, les souvenirs remontent, celui de sa « sœur », que ses parents avait recueillie, qui a quitté depuis quelque temps ses parents adoptifs, le père en abusait sexuellement…
Francis vit difficilement ce retour chez le « vieux », surtout qu’il a encore dans les tripes « des nuits liquides, des aubes blafardes, des gueules de bois, des cendriers, des bouteilles, des fuites, des couleurs et de la hâte, beaucoup trop ». Et avec le groupe de potes, « reproduire des accords entendus à la télé, vomir cette frustration d’être en dehors de tout : ne pas être anglais, beau, riche, ne pas avoir de voiture, ne pas être un autre. Et tous ces plats réchauffés, ces chambres qu’on partage avec les petits frères, les parents abrutis par le travail, le foot et la radio, la résignation, des mères frustrées, marrantes, prisonnières et geôlières à la fois ». Carlos Zanon sait décrire ces petites misères qui minent jusqu’à la dignité d’exister, et donner à son personnage toutes les raisons passées de vouloir en sortir par le rock. « Et le rock’n roll comme un émetteur qui te reliait à tous ces autres types de la planète. Ça te rendait supérieur, mythique, autre. Le rock’n roll allait te sauver la vie ». Sauf que les décennies passant, le constat inverse est celui qui mine Francis, qui va trouver un boulot, mais qui va aussi retrouver des anciens potes, et la drogue est là qui va reprendre ses droits. Francis va replonger une fois… le rock ne l’a pas sauvé. « La coke fait fonctionner ton esprit plus vite, mais ça le fait aussi déraper, ça le conduit au bord du précipice. La tachycardie va te faire péter le cœur. Ça brille et ça dérape. T’as le nez qui coule, on croirait de la cire le long d’une bougie. Et voilà la parano qui pointe sa gueule ».
Et tout va s’accélérer, Marisol, sa « sœur », avec qui les rapports sont ambigus, va subir une agression à l’acide qui va la défigurer. Un ancien compagnon qui n’admettait pas ses comportements entiers, sans frein. Francis va alors se mêler de l’affaire…
Carlos Zanon a réussi un roman qui oscille entre le roman noir pour l’intrigue et une peinture précise des mœurs des petites gens que la vie a trop souvent malmenées. Et il utilise une langue précise, dont les traits incisent parfaitement le tableau d’une Espagne actuelle, le tout ponctué de renvois à cette musique dont il sait dire les attentes qu’elle a suscitées.
Guy Donikian
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