J’ai décidé d’arrêter d’écrire, Pierre Patrolin (par Jean-Paul Gavard-Perret)
J’ai décidé d’arrêter d’écrire, octobre 2018, 172 pages, 17 €
Ecrivain(s): Pierre Patrolin Edition: P.O.L
La rivière sans retour
L’écriture est une maladie dont on ne guérit pas : Duras l’avait dit, Patrolin le confirme. Il prouve que celui qui s’y engage est ravi, capturé et que rien n’y fait. Son livre devient en conséquence l’histoire d’une fiction qui s’écrit et le roman de l’impossible arrêt de l’écriture.
Ces deux « fils » se tissent, s’entremêlent en ce qui tient d’un échec et d’un désastre. Et d’une réussite. On croit d’abord que la décision d’arrêter d’écrire est au centre de l’histoire, des histoires. Mais c’est l’inverse qui se passe. Entre bordure et absence il existe bien plus que des didascalies du silence mais son perpétuel débordement. Le « comment-taire » est impossible : ne demeure que son commentaire.
Rien ne se passe – du moins en ce qui concerne le désir d’arrêter le cours de la rivière sans retour où tout baigne (héroïne et feuilles de papier). L’écriture se voudrait barrage, elle n’est que typhon au sein de ce qui tient d’une mise en abyme, d’un éblouissement, de la nécessité fatale de l’écriture et de son travail de résistance.
Patrolin voudrait la transgresser, passer par la bande. Mais rien n’y fait ; outils (crayon, stylo, traitement de texte), lectures (nombreuses qui le relancent sans cesse) nourrissent le crime à perpétuité. Car il s’agit bien d’un crime. Mais à qui profite-t-il ? Aussi bien au scripteur qu’au lecteur.
Le premier l’exploite, le perpétue et le second se fait le complice de l’addictif.
Il a beau retourner son récit, afficher des pétitions de principe et actes de contrition, rien n’y fait. Et ce superbe livre devient un nécessaire (in)accomplissement. L’écriture consume et qu’importe si elle « dit » qu’il n’existe pas de réalité, pas plus que son fantasme. Patrolin aura beau faire amende honorable, évoquer son mensonge en une sorte de récit évidé de l’objet : il est renvoyé à sa douce misère, à sa délicieuse déception, à ses aveux de faiblesse qui donnent au livre une forme simplement incomparable.
L’écriture reste « la petite pute » (Duras), la grande misère. Le lieu où le bât blesse. Elle crée non une évidence mais un évidemment. Reste des effractions, des interstices, des dévoilements déplacés là où le lecteur ne peut plus mariner dans la rivière amniotique des imbrications matricielles.
L’auteur crée ainsi sa mécanique plaquée sur la feinte du vivant, crée des histoires qui ne s’exhibent que pour dire avec humour l’impossible du désir – ou sa confirmation. Tout demeure en suspens (pas du pas) jusqu’à ce que Schopenhauer et sa volonté ait raison du velléitaire. Il passe ainsi par une autre musique, par la nécessaire incomplétude du roman qu’il sort de son extase embryonnaire avant de retourner bientôt aux limbes ou en enfer. Pour l’heure, perdure le rebord de l’interdit que Patrolin se pose mais qui ne restera qu’une pétition de principe. Ce qui ravit le lecteur. Forcément.
Jean-Paul Gavard-Perret
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