Islamo-féminisme, des femmes relisent les textes religieux, Feriel Bouatta, par Nadia Agsous
Islamo-féminisme, des femmes relisent les textes religieux, Feriel Bouatta, Koukou Editions, Alger, octobre 2017
Des femmes osent l’exégèse islamique
Le féminisme islamique. Que signifie cette expression formée de deux mots jugés antinomiques ? L’islam et le féminisme sont-ils compatibles ? Est-il possible d’atteindre l’égalité entre les sexes en réinterprétant le Coran, les hadiths (paroles et actes du prophète) et le fiqh (jurisprudence musulmane) ? Si l’on se réfère aux féministes islamiques, la réponse est oui !
Qui sont ces femmes musulmanes, universitaires et intellectuelles pour la plupart, qui ont formé un courant de pensée féministe de nature théologique ? Dans quel contexte mondial leur mouvement a-t-il émergé ? Quelles sont leurs théories ? Leurs méthodes ?
C’est ce à quoi s’attelle Feriel Bouatta dans son livre intitulé Islamo-féminisme. Dans cet essai de 113 pages structuré en quatre chapitres, l’auteure présente le mouvement sous un angle historique et théorique.
Dans le chapitre premier, l’auteure met en lumière les mouvements féministes/féminins créés par les femmes dans les sociétés musulmanes, en réaction aux statuts personnels qui institutionnalisent la domination masculine. Deux pays sont cités en exemple : l’Algérie et le Maroc. Dans un premier temps, l’auteure s’attarde sur la lutte des Algériennes contre le Code de la famille, promulgué en 1984 et amendé en 2005. Puis elle enchaîne avec l’exemple marocain et met l’accent sur l’action des Marocaines pour amender la Moudawana, code de la famille marocain promulgué en 1958, amendé en 1993 puis en 2004. L’auteure compare les deux mouvements et souligne les différences entre la démarche des Algériennes et celle des Marocaines.
Le second chapitre traite de la réislamisation des sociétés musulmanes et au sein des communautés musulmanes vivant en Occident. Pour illustrer l’ampleur de ce phénomène, l’auteure prend pour exemple l’Algérie, la Turquie, la France et la Belgique. Son objectif est de brosser un tableau du contexte dans lequel le féminisme islamique a émergé. Ce chapitre s’avère particulièrement intéressant car il fournit des éléments qui permettent de comprendre le processus de réislamisation dans les années 1990. Les lectrices et les lecteurs peuvent, cependant, s’interroger sur la pertinence du choix de l’Algérie. Bien que ce pays ait été soumis à la réislamisation, les femmes algériennes n’ont pas pour autant développé le féminisme islamique dans leur pays. Un coup de projecteur sur le contexte de « réislamisation » en Iran, en Malaisie, en Afrique du Sud et dans d’autres pays où le féminisme islamique s’est épanoui, aurait probablement été bien plus éclairant.
Après avoir parcouru 55 pages, les lectrices/lecteurs arrivent, enfin, au cœur du sujet central de l’essai. C’est dans les chapitres 3 et 4 que l’auteure traite du féminisme islamique, de sa genèse, de ses actrices, de leurs méthodes et d’autres aspects qui éclairent sur ce phénomène qui propose un discours nouveau sur l’égalité entre les sexes.
Ce courant de pensée débarrassé de « la culture de la suprématie occidentale » (Sophie Bessis) se propose de promouvoir les droits des femmes à partir des textes religieux car porteurs d’égalité et de justice. Il est né en réaction à l’islam politique qui imposait aux femmes un mode de pensée et des comportements ultra conservateurs. Peu à peu, il s’est constitué en mouvement globalisé, social, « transnational » et « pluriel », ce qui a permis la constitution d’une solidarité et d’une coopération féminines mondiales. Pour promouvoir les droits des femmes sur la base d’une conception égalitaire prônée par l’islam, ces femmes vont adopter plusieurs méthodes.
D’une manière générale, ces femmes vont recourir à l’ijtihad, c’est-à-dire la relecture pour réinterpréter les textes religieux pour atteindre l’égalité entre les femmes et les hommes. Cette démarche revêt une dimension « révolutionnaire » dans le sens où ces femmes ont osé s’introduire dans un champ qui jusque-là était le monopole des hommes, érudits et savants. Leur objectif est d’inscrire le coran et les textes religieux dans une perspective dynamique et évolutive afin de les adapter aux réalités sociales contemporaines.
Certaines vont se lancer dans la déconstruction de certains hadiths pour questionner leur authenticité et leur validité. Elles vont ainsi effectuer un travail linguistique en s’appuyant sur le contexte historique, politique et sociologique de l’époque de publication de ces hadiths. Fatima Mernissi, sociologue et écrivaine marocaine, va avancer l’idée selon laquelle les hadiths misogynes sont dus à une déformation voire à une falsification des propos du prophète par des hommes pour assoir leur domination sur les femmes.
D’autres vont contester le fiqh (droit musulman) en effectuant une relecture pour élaborer une nouvelle doctrine qui intègre l’égalité des genres. Leur objectif est d’adapter la jurisprudence musulmane au contexte de leur époque. Pour ces femmes, la relecture du fiqh permet un toilettage des statuts personnels (codes de la famille).
Un groupe de femmes va déconstruire les versets coraniques en mobilisant les sciences sociales et les études de genre. La pionnière est Amina Wadud, universitaire afro-américaine, convertie à l’islam en 1972. Cette femme qui se définit « pro-foi et pro-féministe » va jeter les bases d’une interprétation du coran dans une acception égalitaire. Elle va déconstruire le texte sacré en y appliquant la théorie des genres. Son souci est de savoir si les inégalités femmes/hommes dans les sociétés musulmanes sont le fait de l’islam.
Dans son livre fondateur, Le Coran et les Femmes : relire le texte sacré dans une perspective féministe (1992), A. Wadud va explorer la notion d’égalité dans le texte sacré. Selon elle, certains versets coraniques sont discriminatoires à l’égard des femmes. Mais elle affirme que le patriarcat qui existe dans le coran n’est pas le fait de l’islam. Pour étayer sa thèse, elle se base sur la notion d’unicité de dieu (Tawhid) qui est centrale dans le coran. Dieu est supérieur à tous les êtres humains. Les femmes et les hommes ont été placé-e-s dans une situation d’égalité. Elles et ils sont des agent.e.s de Dieu sur terre. Si les hommes prétendent être supérieurs aux femmes, ils commettent un péché.
Dans son deuxième livre intitulé Inside the Gender Jihad : Women’s Reform in Islam (À l’intérieur du Jihad pour le Genre : La Réforme des Femmes dans l’Islam, 2006), l’universitaire radicalise son propos en affirmant que les aspects défavorables aux femmes dans le coran peuvent être contestés et rejetés tels que la polygamie, le fait de battre sa femme, l’esclavage, car non conformes aux principes de justice et d’égalité portés par le coran. Elle recommande de voir le coran comme « une parole ou un texte en cours ». « Ce qu’il faut dire et redire (…), c’est que l’on peut discuter le texte et même lui répondre “non” ».
Pour conclure, bien que ce courant de pensée visant à réformer l’islam incite au questionnement, il est cependant important de souligner la dimension « révolutionnaire » de la démarche des féministes musulmanes. Révolutionnaire car des femmes que l’on a tendance à considérer comme soumises au diktat des hommes de leur communauté, ont décidé de ne plus laisser ces derniers définir leur statut et rôle et légiférer pour elles.
Concernant l’ouvrage de Feriel Bouatta, lors de sa lecture, les lectrices/lecteurs auront, par moments, l’impression de se perdre dans la masse d’informations que l’auteure mobilise pour traiter du féminisme islamique. Le fil conducteur de cet essai sera, cependant, retrouvé grâce aux résumés qu’elle propose à la fin de chaque chapitre et également dans la conclusion.
Si vous avez ce livre entre les mains, lisez-le deux fois. Une première fois pour prendre connaissance du sujet. C’est alors que vous buterez sur des répétitions ; que vous repérerez quelques incohérences ; que vous découvrirez des passages qui vous inciteront à vous questionner sur leur utilité dans ce livre.
La deuxième lecture sera plus fructueuse car vous aurez, au préalable, élagué les répétitions et les éléments qui obstruent votre compréhension de ce sujet complexe qui mérite qu’on s’y attarde afin de bien saisir ses objectifs, ses enjeux et ses effets dans les sociétés musulmanes. Cet intérêt pour ce sujet sera d’autant plus comblé grâce à la bibliographie détaillée fournie en fin d’ouvrage.
Nadia Agsous
Feriel Bouatta est doctorante en sociologie à l’université catholique de Louvain-La-Neuve (Belgique). Ses travaux portent sur la question du genre et de la réislamisation en Algérie.
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