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Interview de Claro, à propos de Tous les diamants du ciel

Ecrit par Yann Suty 27.08.12 dans La Une CED, Entretiens, La rentrée littéraire, Les Dossiers

Interview de Claro, à propos de Tous les diamants du ciel

 

Il y a un côté très poétique dans la langue que vous employez. On a l’impression qu’il s’agit de vers mis en prose. Ça chante, ça danse. C’est très lyrique et en même temps très drôle, très imagé. Il y a aussi une certaine scansion dans la phrase. Est-ce une volonté délibérée ? Si oui, pourquoi ?

 

J’ai du mal à concevoir l’écriture comme quelque chose de désincarné. La langue est à la fois un allié et un ennemi. Un allié parce qu’elle est malléable ; un ennemi, parce qu’elle agit aussi contre nous, véhicule des lieux communs, se fige sans cesse. Je m’efforce donc d’écrire une langue qui soit consciente d’elle-même, qui puisse s’entendre dans son déploiement. La scansion est l’expression d’une nécessité physique de la langue. J’écris aussi en imaginant l’effet que peut et doit produire la langue sur le lecteur, je veux qu’il vive une expérience, pas seulement une lecture.

Pour avoir ce rythme, comment faites-vous ? Est-ce que des lectures particulières vous guident ? Ecrivez-vous en musique ? Si oui, qu’écoutez-vous ?

 

Je ne pense pas que l’écoute d’une musique particulière puisse influer sur la rythmique d’une écriture. J’écoute éventuellement de la musique, mais davantage pour faire écran avec l’extérieur. Ce qui façonne la phrase, c’est, outre une possible rigueur que nuance un certain lâcher-prise, le livre lui-même. En s’écrivant, le livre trouve son allure, propose ses variations de tons, et c’est dans le mouvement de l’écriture que des scansions particulières se révèlent possibles.

 

Pourquoi un roman sur le LSD (entre autres) ? Est-ce, d’ailleurs, un livre sur le LSD ou sous LSD ?

 

Ce n’est bien sûr pas un livre sur le LSD. En revanche, c’est peut-être un livre « sous » LSD, au sens où ce n’est pas tant le personnage principal qui fait un mauvais trip que le roman lui-même qui épouse le mécanisme de l’hallucination. Il y a distorsion entre ce qui est et ce qu’on voit, entre ce qu’on vit et ce qu’on comprend. Le LSD est donc proche, par ses effets, du travail de la fiction.

 

Le livre commence à Pont-Saint-Esprit. Vous partez d’un fait divers réel, celui du « pain maudit », survenu en août 1951. D’après Wikipédia, il y a eu sept morts et près de 250 personnes ont été atteintes de symptômes plus ou moins graves ou durables. Beaucoup de théories ont été élaborées sur les origines du trouble. Vous en choisissez une, que vous dévoilez à la fin du roman. Quelle est l’importance pour vous de partir d’un événement ancré dans le réel ?

 

Je voulais faire une « suite » à CosmoZ, mais différente, et je comptais donc partir des années 50. Il se trouve qu’au moment où je terminais CosmoZ, la presse a reparlé de cet événement survenu à Pont-Saint-Esprit. J’ai aussitôt fait des recherches et vite compris que ce fait divers pouvait être une matrice formidable. Parce que le LSD dans la France des années 50, c’est surprenant. On est encore loin du Summer of Love à San Francisco seize ans plus tard. Le LSD a été tout d’abord un médicament, puis très vite un instrument de pouvoir avant de devenir un agent psychique libérateur. On a donc le même élément qui subit des métamorphoses (traitement, manipulation, contestation). Cela forme un fil rouge qui permet de raconter selon un certain angle la Guerre froide, du moins de faire la jonction entre les années d’immédiate après-guerre et l’après Mai 68. On ne saura jamais si la CIA a réellement dosé la ville de Pont-Saint-Esprit, faute de preuves, de documents. Mais le seul fait que la chose ait été possible, probable, suffit à déplier le réel.

 

C’est tout un monde, toute une époque que vous mettez en perspective : les Trente Glorieuses, entre libération sexuelle, l’été de l’amour à San Francisco, CIA, conquête de la Lune, guerre d’Algérie, etc. Est-ce que vous pouvez nous en dire plus là-dessus ?

 

Je voulais passer par certains lieux, certains événements, mais sans les laisser monter au premier plan, parce qu’ils sont si intimement liés à la vie de mes personnages que ces derniers n’en ont pas eu une connaissance large, ils en ont été les victimes ou les marionnettes, les ont plus visités qu’habités. Par exemple, pour Lucy, la mission Apollo est indissociable de son errance dans la Foire du Sexe à Copenhague. Antoine ne sait pas grand-chose des expériences atomiques françaises dans le désert algérien. L’histoire est souvent à double-fond, et chacun la vit dans une immédiateté aveuglée, voire aveuglante. C’est donc moins l’Histoire que j’ai voulu déployer que la perception châtrée qu’on en a.

 

Ce monde est aussi celui dans lequel vous avez grandi, puisque vous êtes nés en 1962. Voulez-vous décrire d’où vous venez ? Que vous êtes en quelque sorte le fruit de ces années ? Ou bien ça n’a rien à voir, se lancer dans une de ces espèces d’interprétation pseudo-psychanalytique est juste complètement absurde, la question est à côté de la plaque ?

 

J’ose penser que c’est davantage ce qu’on écrit, en tant qu’écrivain, qui vous « fabrique », et non seulement les aléas d’une vie qui sinon ne serait qu’un quotidien manipulé par l’infini des influences. J’avais 7 ans en 69, je n’ai aucune idée de l’étoffe des années 50, mais en revanche je peux très bien imaginer ce que c’est de voir des hommes marcher sur la lune pendant qu’un inconnu souffle sur votre nuque. C’est plus de mon ressort.

 

Il y a aussi une dimension mystique. Antoine commence par manger le pain et a des hallucinations. Ensuite, vous le soumettez à la tentation de la chair avec Lucy. Tous les diamants du ciel est-il un livre chrétien ?

 

Le fait que le pain ait été empoisonné (à Pont-Saint-Esprit, le jour de l’Assomption qui plus est) a forcément une importante charge mystique. Et le LSD est une substance qui a souvent été rapprochée des extases religieuses. Cela fait-il du roman un roman chrétien ? Je ne crois pas. Au contraire, c’est plutôt un roman païen, car les rites décrits sont des rites déchus, et Dieu n’est plus, car déjà les satellites l’ont remplacé dans le ciel.

 

Le livre est aussi la rencontre entre deux mondes, les Etats-Unis et la France. L’Amérique, avec le personnage de Lucy apporte à la France la libération sexuelle. Le LSD est aussi une importation américaine. Est-ce que l’Amérique vient déniaiser la France ?

 

C’est compliqué, parce que le LSD n’est pas uniquement une drogue qui « déniaise », c’est une substance dangereuse, ce que la CIA avait parfaitement compris. Et l’essor des sex-shop n’est pas non plus uniquement un indice de la libération des mœurs, comme l’ont tout de suite compris les féministes. On ne peut pas dire qu’une poupée gonflable soit le premier pas vers la parité… L’Amérique est plutôt un virus que l’Europe a accepté, mais les pathologies qu’il a causées ne sont pas toutes des maladies mortelles.

 

De la même façon, une question qui n’incite pas à la modestie : est-ce que vous, monsieur Claro, vous ne voulez pas déniaiser la littérature française en lui insufflant une énergie « américaine », en lui faisant embrasser le monde, les époques plutôt que de se cantonner (comme trop souvent) dans sa chambre à Saint-Germain-des-Prés ?

Non, je ne pense pas insuffler la moindre énergie américaine à la littérature. Malgré mon grand intérêt pour une certaine fiction américaine, je pense que mon écriture s’est formée à l’ombre de lectures beaucoup plus proches, comme celles d’Artaud, Guyotat, Céline, etc. En outre, vu le prix d’une chambre à Saint-Germain, j’aurais bien du mal à en faire mon QG pour observer les soubresauts des faiseurs de dictées qui y sévissent.

 

Vous écrivez des romans. Vous êtes aussi traducteur. Vous êtes responsable de collections. Vous tenez un véritable feuilleton sur Facebook. Vous avez un blog. Quel est votre secret ?

 

Je cuisine.

 

Propos recueillis par Yann Suty


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Membre fondateur


Yann Suty est écrivain, il a publié Cubes (2009) et Les Champs de Paris (2011), chez Stock