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Insomnies intimes, De l’ombre à la lumière, Valérie Fauchet (par Marjorie Rafécas Poeydomenge)

Ecrit par Marjorie Rafécas-Poeydomenge 02.05.24 dans La Une Livres, Les Livres, Recensions

Insomnies intimes, De l’ombre à la lumière, Valérie Fauchet, KDP Amazon, février 2024, 222 pages, 18 €

Insomnies intimes, De l’ombre à la lumière, Valérie Fauchet (par Marjorie Rafécas Poeydomenge)

Les insomnies sont-elles des invitées inattendues, redoutables, comme des mantes religieuses nocturnes prêtes à nous piquer dans le vif de nos blessures ? Ou au contraire, des intimités enfin retrouvées, comme la « Flamme d’une chandelle » (1), pour réveiller le clair-obscur de notre chambre. Après Une voyante passe aux aveux et La vie est une affaire personnelle (trilogie romanesque, Editions Ipanema), Valérie Fauchet nous invite dans ce nouveau livre à apprivoiser nos insomnies de façon créative et poétique, et envisager nos lieux, nos objets autrement, pour mieux nous comprendre et nous surprendre. L’auteure nous livre sans tabou des bouts de sa vie intime romancés, avec poésie et authenticité, en résonnance avec des lieux qui l’ont marquée. Toutes sortes de lieux : des terrasses de café, des chambres d’hôtel, la plage, « des maisons prisons », « des maisons tristesse », « des maisons closes », « des maisons pop », « des maisons sans enfants », « des maisons hantées », « des maisons souvenirs », « des maisons château en Espagne », « des maisons comme des moulins, des maisons vides, des maisons où il ne se passe jamais rien, des maisons sans amour, des maisons en plein carrefour, des maisons qu’on ne voit pas, des maisons qu’on n’aime pas, et des maisons du bonheur ».

Les maisons du bonheur sont évidemment celles que l’on préfère. Mais, comment une maison devient-elle l’étincelle du bonheur ? Ne seraient-elles pas des lieux de gaieté lorsqu’elles sont en accord parfait avec notre inconscient, cette « maison étrange, mystérieuse et complexe » ?

Rythmé en 41 chapitres courts et incisifs, 41 ambiances et émotions colorées, ce livre de confessions est à la fois très personnel et sincère, mais aussi universel par les thèmes qu’il convoque : la solitude, notre rapport aux maisons, à la famille, à nos amours, les blessures d’enfance et ses violences. Tous ces trop ou pas assez qui se reflètent dans nos objets. Comme Madeleine Castaing qui fait « des maisons comme d’autres écrivent des poèmes », Valérie Fauchet a toujours relié la maison à la poésie. « Selon moi, toute demeure se doit d’être poétique. Sinon me concernant elle n’existe pas vraiment ». Ce livre constellation est à la confluence de plusieurs styles : poétique, réflexions philosophiques et psychologiques, autobiographie romanesque et décoration. Dans certains chapitres, sont associés des poèmes en rapport avec les réflexions ou émotions dépeintes, pour plonger le lecteur dans une atmosphère particulière.

Les maisons sont comme notre deuxième peau, la peau, cette métaphore du ventre maternel. Or, la peau est l’organe le plus important en amour, car ce dernier se concrétise à « fleur de peau », même si le désir naît de la vue ou de la voix. Nous aimons serrer nos objets remplis d’histoires et de poussière poétique. « Toute ma peau a une âme », écrivait Colette (La Retraite sentimentale). A chaque amour, nous créons de nouvelles maisons, des nouveaux lieux, des invincibles souvenirs. Des espaces « bourrés de nostalgie diaphane, de mélancolie bouleversante ». Mais comment une tortue, qui a la chance d’avoir sa maison sur son dos, peut-elle encore ressentir du désir ? Puisque sa maison est à portée de soi. L’auteure envie d’ailleurs un peu cet animal casanier…

Le symbole de la maison, de cette deuxième peau, n’est pas anodin car même lorsque l’on a une mère, on peut se sentir « orpheline de mère »… C’est le cas de l’auteure qui s’interroge sur sa mère, cette mère qui était toujours ailleurs : « Ma naissance t’aurait-elle tuée au fond ? ».

L’auteure a le sentiment d’être toujours en cavale, de devoir se cacher, d’être prisonnière d’un désespoir qui n’est pas le sien : l’échec d’amour de sa mère. Cet inachèvement maternel. A quoi peut alors ressembler une vie normale ? Elle a pris l’habitude d’être « l’autre », c’est ainsi que l’appelait sa grand-mère Gabrielle. « L’autre », celle que ses sœurs accusaient d’avoir été trouvée dans une poubelle de la rue Victor Hugo. Alors comment se remettre du sentiment d’être un intru, d’être un enfant non désiré ? En se créant des lieux personnels, en bougeant les meubles, en changeant les énergies des objets, en se créant une « chambre à soi », des chambres bleues. Enfant, Valérie Fauchet enlevait tous les produits domestiques d’entretien que laissait traîner sa mère : l’eau de Javel, le Cif, le Monsieur Propre au citron… « Affreux ! ». Elle rangeait tout. L’esthétique était son refuge.

A travers les lieux, il est aisé de saisir la psychologie des personnages qui les hantent. Que penser des personnes qui dorment sur des matelas encore emballés par du plastique « pour ne pas abîmer, pour ne pas salir » ? « Cette étrange manie chez certaines personnes de ne pas oser vivre » la dépasse. A cette peur de vivre, Valérie Fauchet oppose l’excès dans les décors, la profusion à outrance, le « beaucoup ». Il n’y a rien de plus fort que la lumière. Mais bizarrement, depuis son adolescence, elle porte du noir, « une redingote de velours, avec des boutons argentés, de grandes bottes cavalières, et un pull col roulé ». C’est important dans la vie de choisir ses « tenues de combat, d’apparat ». Pourtant, la couleur noire des vêtements retient les mauvaises ondes que des êtres peuvent nous projeter, au fil des jours et des nuits. A l’inverse, on peut aussi croiser des « êtres purs emplis de lumière céleste ». Les rencontres tissent les liens complexes et subtils de notre inconscient.

Non, décorer n’est pas futile. Décorer nous aide à renouer avec les bases profondes de nos désirs, nos rêves d’enfant, à reprendre de la force au cœur même de notre maison. Tous les détails, les objets, créent des symphonies et racontent une histoire : « Deux grands vases marocains, d’os et de cuir, deux fauteuils crapauds recouverts de tissu léopard, un coussin gris perle, légèrement violine, avec des pampilles, une lampe année 50 posée à terre qui éclaire un tableau de grand format représentant des nomades sous leurs tentes », « une statue, visage de femme en paix, une bougie à la verveine, un vase turquoise, japonais, créateur inconnu, ma boule de cristal sur un guéridon en acajou XIXe, des bouquins ici et là, en vrac, sagesses indiennes, un recueil de pensées, méditations, sur la table basse, le livre L’Allure des femmes de François Baudot, Kate Moss sublime fume une cigarette le regard pénétrant, les jambes nues, dans son pull en cachemire… ». Tous ces objets sont autant d’invitations à des divagations littéraires. En déplaçant les objets, le monde se transforme et l’énergie devient différente, autre…

 

« Les lieux ne sont à personne

ils ne sont que des souvenirs

des souvenirs qui résonnent

des elfes des ombres des ondes

comme la pluie qui tombe

Mais les lieux ne sont à personne

même si les hommes font comme »

(extrait du poème Lieu de l’auteure)

 

Si les lieux sont importants, alors comment cohabiter, vivre, avec une autre personne ? Vivre avec quelqu’un, contrairement aux injonctions de notre époque moderne où tout va trop vite, n’est pas un acte léger. Il revient à mélanger tellement de forces et d’énergies. « Mélanger les vêtements, les papiers, les objets, avec quelqu’un d’autre… Tout se multiplie à toute vitesse ». Certaines rencontres ont vite fait de nous « déglinguer et de nous attirer dans le néant ». Les rencontres sont des labyrinthes dans lesquels il ne faut pas se perdre. Quelqu’un qui ne comprend pas la maison de l’autre ne peut être bien dans ses bras totalement. Ce doit être une adéquation, une évidence, même si c’est « des peu à peu ou des coups de foudre ».

Lorsque l’on a eu la malchance d’être abusé enfant ou mal aimé, on craint toujours d’avoir mal en amour. « Peur d’être juste désirée entre deux portes ». Alors, on se réfugie dans sa maison, dans « Ma roulotte, mon espace, ma cabane, mon côté Peau d’âne. Ma maison, ma peau, mon âme ».

Car la maison est notre coin du monde (Gaston Bachelard, La poétique de l’espace).

Ce livre a l’élégance des âmes poétiques et nous recentre vers l’essentiel, les ailes de nos espaces intérieurs, loin des tumultes du quotidien.

 

Marjorie Rafécas-Poeydomenge

 

(1) La Flamme d’une chandelle, de Gaston Bachelard, le plus « merveilleux ouvrage » de ce philosophe selon l’auteure.

 

Née à Rennes et diplômée de lettres modernes, Valérie Fauchet est auteur de chansons, poète, médium, scénariste et écrivain. Elle a publié en 2019 aux Editions Ipanema Une voyante passe aux aveux, puis nourrie de sa passion pour les lieux, les âmes des maisons et les secrets de famille, elle est également l’auteur d’une trilogie romanesque La vie est une affaire personnelle, composée de trois opus : La cheville, Les épaules et Le sourire. Insomnies intimes, de l’ombre à la lumière, est son 4ème ouvrage.



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A propos du rédacteur

Marjorie Rafécas-Poeydomenge

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Passionnée de philosophie et des sciences humaines, l'auteur publie régulièrement des articles sur son blog Philing Good, l'anti-burnout des idées (http://www.wmaker.net/philobalade). Quelques années auparavant, elle a également participé à l'aventure des cafés philo, de Socrate & co, le magazine (hélas disparu) de l'actualité vue par les philosophes et du Vilain petit canard. Elle est l'auteur de l'ouvrage "Descartes n'était pas Vierge".