Injection mortelle, Jim Nisbet
Injection mortelle (Lethal Injection), janvier 2016, trad. américain Freddy Michalski, 269 pages, 8 €
Ecrivain(s): Jim Nisbet Edition: Rivages/noir
Les trois premiers chapitres de ce livre vont vous poursuivre longtemps. Leur noirceur, leur violence et – malgré tout – leur bouleversante humanité sont de ces moments de littérature qui entrent dans le panthéon imaginaire des lecteurs. Ils constituent aussi la matrice narrative qui va déployer les lignes de tension de tout le roman : la culpabilité, la quête de rédemption, le châtiment.
Bobby Mencken est au bloc des condamnés à mort. Il attend. C’est imminent. Le prêtre est là, qui radote. Bobby s’en fiche. Il regarde son seul ami dans sa cellule : un cafard.
« Le cafard se tenait là avec ses six bas carmins et son fuselage zébré, à jouer de ses antennes, comme s’il battait la mesure de la prière qui descendait sur lui des hauteurs des cintres, presque comme un acteur sur sa scène, où les jambes noires du prêtre seraient les tentures d’une chapelle funéraire. Matilda le cafard, petite maîtresse du temps et de l’espace, qui savait aller et venir en ces lieux à son gré, témoignage d’un idéal de survie élégante et sans effort ».
La troupe des « exécutants » arrive. Jim Nisbet nous livre alors des pages inoubliables.
« Lorsque la porte se referma, que les longues tiges d’acier qui en verrouillaient le haut et le bas vinrent reprendre place dans leur logement, leur fracas se répercuta à travers le module des cellules, renvoya en écho la peur née des enfers aux machines lointaines. Nul ne pouvait entendre ces bruits sans s’interroger sur les tristesses et les laideurs dont ils étaient porteurs ».
Franklin Royce, petit médecin médiocre, accepte des missions dans des prisons et, ce soir-là, il est chargé d’exécuter un condamné à mort. Il administre ainsi l’injection mortelle à Bobby. Mais il sait, avec la certitude de l’évidence, que l’homme est innocent.
Alors, c’est avec ce poids effroyable qu’il va devoir revenir à sa vie qui, en elle-même, est un châtiment. A commencer par le spectacle de son épouse qui ne cesse de le harceler depuis une erreur de conduite conjugale.
« Il la regarda, Pamela, son adorable épouse ; ses mâchoires hideuses brassaient l’air en hennissant contre lui ; sa femme était en train de hennir ».
Injection Mortelle, grand roman noir, est aussi l’histoire d’une vengeance par procuration. Franklin se fait Ange de la Mort dès qu’il comprend qu’il ne pourra plus jamais se débarrasser du regard de Bobby au moment de l’injection. C’est pour lui le prix à payer : Ange de la Mort il fut, Ange de la Mort il sera. Et encore par une injection mortelle.
Au style impeccable et profond de Nisbet – Jim Nisbet est l’auteur de superbes poèmes –, il faut adjoindre la force de la traduction de Freddy Michalski qui, dans des sonorités sombres, rend magnifiquement ce récit.
Y aura-t-il encore des lecteurs de ce livre pour dire que le roman noir n’est pas de la grande littérature ?
Léon-Marc Levy
VL3
NB : Vous verrez souvent apparaître une cotation de Valeur Littéraire des livres critiqués. Il ne s’agit en aucun cas d’une notation de qualité ou d’intérêt du livre mais de l’évaluation de sa position au regard de l’histoire de la littérature.
Cette cotation est attribuée par le rédacteur / la rédactrice de la critique ou par le comité de rédaction.
Notre cotation :
VL1 : faible Valeur Littéraire
VL2 : modeste VL
VL3 : assez haute VL
VL4 : haute VL
VL5 : très haute VL
VL6 : Classiques éternels (anciens ou actuels)
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