Impurs, David Vann
Impurs, traduit (USA) Laura Derajinski 2013, 284 p. 23,10 €
Ecrivain(s): David Vann Edition: Gallmeister
Le dernier roman de David Vann débute à la manière d’un film d’horreur à la Evil Dead. Un groupe va passer un week-end dans une cabane isolée dans les bois. Contrairement à nombre de films d’horreur, ce n’est pas un groupe de copains qui part en week-end, mais une famille. Une famille que ses membres n’hésitent pas à qualifier de « white trash ».
« Est-ce qu’on est des white trash ? demanda-t-il. Je n’irai jamais à l’université, aucun de nous n’a un emploi et on vit dans les bois. Avant même de m’en rendre compte, je risque de coucher avec ma cousine ».
Et comme dans un film d’horreur, la famille se retrouve bientôt confrontée à une menace. Sauf que la menace n’est pas à l’extérieur, mais à l’intérieur. La menace est dans la famille. La menace est la famille elle-même.
David Vann avait déjà abordé la thématique de l’explosion de la cellule familiale dans ses deux précédents romans, Sukkwann Island et Désolations. Et comme dans ces deux premiers opus, on retrouve sa même capacité à faire monter la tension crescendo, par petites touches.
Galen, le personnage principal, a vingt deux ans. Dans l’incapacité de se payer des études, il vit toujours chez sa mère. Elle a fait de son fils une sorte d’époux. Il n’en peut plus de celle qui est capable de lui servir des friands à la saucisse alors qu’il est végétarien.
« Chaque jour, il avait le sentiment qu’il ne pouvait supporter un jour de plus, mais chaque jour il restait ».
« Au matin, Galen ne pouvait se débarrasser de la sensation que sa mère était l’ennemi. Qu’elle l’avait été durant toute sa vie, peut-être ».
Lors de leur expédition dans les bois, la mère et le fils sont accompagnés de la tante, qui prétend que la mère de Galen lui vole l’héritage qui lui revient de droit, ainsi que de sa fille Jennifer, dix-sept ans, qui n’aime rien tant qu’allumer Galen, dont elle moque la virginité à la moindre occasion.
Il y a enfin sa grand-mère, qui n’a plus tout à fait sa tête, perd la mémoire.
Trois générations de femmes donc et un jeune homme mal dans sa peau se retrouvent dans un lieu isolé. Avec chacun des reproches à adresser aux autres, un mal-être que chacun accuse l’autre d’avoir causé. Tous les éléments sont là pour que la situation dégénère. Et elle va dégénérer, bien sûr.
« Leurs conversations pouvaient passer de la banalité à la folie pure en quelques secondes ».
Et David Vann de s’amuser à mettre en place les éléments qui vont pousser les uns et les autres à bout, jusqu’à ce qu’aucun retour en arrière ne soit possible. Au passage, il s’amuse avec le lecteur (et avec ses nerfs), cédant quelques indices pour nous mettre sur une voie pour mieux nous tromper après.
« Il ne voulait prendre aucune de ces directions. Il voulait une troisième porte, mais c’était justement ce que la vie n’offrait jamais, et c’était peut-être aussi bien. C’est ainsi que l’on était poussé à l’affrontement, que l’on était obligé d’apprendre ses leçons ».
Mais le roman ne s’arrête pas dans cette cabane dans les bois. Comme dans Sukkwann Island, l’histoire est coupée en deux parties. Deux parties à l’ambiance cousine, une sorte de huis-clos en plein air, qui pourrait tout à fait être une pièce de théâtre tant l’action est concentrée et resserrée sur quelques heures et quelques personnages. Sans révéler ce qui se passe, la deuxième partie tend davantage vers l’abstraction. L’horreur esquissée dans la première partie se déploie pour de bon. Des mots, on passe aux actes. La folie l’emporte, ravage tout. Mais celle-ci a quelque chose de très rationnelle finalement, elle n’est que la conclusion logique d’années de frustrations et de déceptions.
Yann Suty
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