Il faudra repartir, Nicolas Bouvier
Il faudra repartir, Voyages inédits, Textes réunis et présentés par François Laut, Edition établie en collaboration avec Mario Pasa, Payot, 2012, 224 p. 17 €
Ecrivain(s): Nicolas Bouvier Edition: Payot Rivages
Lire, partir, rencontrer, raconter.
Ce livre donne l’occasion de lire des extraits de « carnets » inédits de Nicolas Bouvier sur des régions ou des pays absents de son œuvre publiée. François Laut avait lu ces textes – entre « témoignages à valeur historique » et « voyages initiatiques aux divers âges de la vie » – lorsqu’il y écrivit la première biographie consacrée à l’auteur : Nicolas Bouvier. L’œil qui écrit (Payot, 2008). Il écrit dans le texte de présentation : « L’intérêt des textes est aussi bien dans ces régions ignorées de l’œuvre que dans les multiples facettes qu’ils montrent de l’homme à travers cet abrégé de sa vie qu’est un voyage : le poète ou le journaliste, le conférencier ou l’historien, le photographe ou le « naturaliste », jamais l’homme de lettres, bien plutôt, dirait Gustave Flaubert, « le frère en Dieu de tout ce qui vit », qu’il décrit et peint avec son œil hors pair. Nous partons d’abord pour Copenhague durant l’été 1948, puis en France en 1957-1958, en Afrique du Nord à l’automne 1958, en Indonésie à l’été 70, en Chine durant l’été 1986, au Canada en 1991 et en Nouvelle-Zélande durant l’été 1992.
Restons sur le voyage en France de 1957-1958. Bouvier fait une tournée de conférences pour remplacer l’un de ses amis. Anecdote : « A l’écran un film, sur scène l’auteur ». Slogan bien connu de « Connaissance du Monde ». Sur scène : Nicolas Bouvier. A l’écran : un film qu’il n’a pas réalisé. D’ailleurs il n’a pas encore mis les pieds en Chine… Sur ses carnets, de nombreuses notes prises qui, à lire aujourd’hui, sont assez réjouissantes. L’organisation d’une conférence n’était pas toujours très rigoureuse. Et même parfois un peu relâchée. « Retour, rebouffe, petit cognac et foncé dans le tas. Parlé dix minutes devant deux cents personnes, puis film. Dix bouquins vendus à l’entracte – dédicacés. Les noms, les noms bizarres qui existent qu’on ne supposerait jamais. De grosses demoiselles les yeux baissés, des types en blouson. Des médecins. Ce qui plaît le plus c’est la steppe. Tout ce public confiant comme des bœufs de labour. Je me couche ». D’autres jours c’est l’angoisse – et la solitude, bien qu’accompagné par Éliane – du conférencier. « A minuit la salle se vide dans un tonnerre, trop d’images dans la tête. On se retrouve tout seul avec 500 mètres de bobine à rembobiner ». Ou « En habit bleu, vanné, les mains noirs d’aluminium dans les petites chiottes des restaurants de province, titubant de fatigue ». Cholet. Saumur. Chambéry. Loches. « Ville ravissante ; petit cinéma rempli de gens têtus et froids ». Paris. Châtellerault Roanne. « Dans les montagnes du Centre, ces gros hôtels aux façades austères, leurs portes discrètement haussées d’insignes de clubs et derrière lesquelles on trouve une poignée de voyageurs de commerce groupés là dans la fumée des gauloises comme des cloportes sous une même mousse ».
Les textes présentés ne semblent pas avoir été écrits pour être publiés. Certains sont visiblement des notes prises en voyage et non retravaillées. Mais l’ensemble est bien du Bouvier, avec notamment, comme l’explique F. Laut, des « thématiques » que l’on retrouve dans l’œuvre publiée : sur le fond, la mise à l’épreuve de soi ; sur la forme, l’usage du poème dans le récit de voyage. Il est sans doute préférable d’aborder Bouvier par ces récits plus construits.
« IL FAUDRA REPARTIR
Et vous, ravissements, ciels gonflés d’étoiles, poissons, morsures du cœur, lumière embrassante des regards, échos et prestiges, serez-vous encore là ? »
Les premières lignes « Mardi 13 juillet (1948). Départ pour la Finlande. Chez moi assez triste. Je fume la pipe flamande ramenée hier de Berne. Mes amis ont donné à leurs adieux hier un tel caractère de derniers sacrements que je n’ose pas les appeler ce matin. Aucune recommandation de famille, j’aimerais partir pour très longtemps ».
Lionel Bedin
- Vu : 4412