Il était une rivière, Bonnie Jo Campbell
Il était une rivière (Once upon a river), Trad (USA) Elisabeth Peellaert, janvier 2013. 394 p. 22 €
Ecrivain(s): Bonnie Jo Campbell Edition: Jean-Claude Lattès
Si Margo ne parsemait pas sa route d’aventures érotico-sentimentales, on pourrait dire de ce livre qu’il nous replonge dans un style, un univers, un genre littéraire que beaucoup d’entre nous ont dû connaître et aimer dans leur adolescence. On regarde du côté de « Jody et le faon » de Marjorie Kinnan Rawlings, ou encore de Tom Sawyer de Mark Twain. Tous les ingrédients y sont. A commencer par le titre du livre qui emprunte la fameuse formule des contes pour enfants : Once upon … Il était une fois.
La rivière bien sûr et d’abord. Il s’agit de la Stark, affluent de la Kalamazoo qui se jette dans le lac Michigan. La géographie déjà nous mène dans les contrées célèbres de la littérature (Hi Jim Harrison !). Elle est présente tout au long de ce roman, lieu pullulant de vie au rythme des saisons. Margo, l’héroïne, va la parcourir sans cesse, chassant, pêchant, cherchant sa mère qui l’a quittée quelques années plus tôt, la laissant seule avec son père qui vient d’être tué lors d’une altercation entre voisins. La rivière, comme chemin initiatique et lieu de toutes les magies naturelles.
D’emblée, le décor est planté, fascinant, écrin qui a porté tant d’œuvres et d’auteurs en Amérique :
« La Stark affluait dans le méandre à Murrayville comme le sang dans le cœur de Margo Crane. A la rame, Margo remontait le courant pour voir des canards branchus, des fuligules à dos blanc, des balbuzards pêcheurs et dénicher les salamandres tigrées dans les fougères. Elle se laissait dériver pour trouver des tortues peintes qui se chauffaient au soleil sur des arbres morts et compter les hérons dans la héronnière non loin du cimetière. »
Et puis le personnage de Margo : à la fois naïve et aventureuse, inconsciente et futée, immorale et sympa. Elle traîne dans tous ses gestes un modèle : la fameuse Annie Oakley, tireuse émérite à la carabine, qui est restée célèbre aux USA pour les spectacles qu’elle y donna longtemps avec son .22 ! Margo est aussi une passionnée de tir à la carabine où elle excelle, capable de faire sauter à 20 pas un gland. Celui d’un chêne et … celui de Cal, qui l’a violée un soir de cuite. Sa « Marlin » est comme une extension d’elle-même, elle ne peut pas s’en passer plus que de sa rivière.
La quête de Margo, la recherche de la mère qui l’a quittée pour aller vivre sa vie, est émaillée de rencontres, personnages attachants ou/et inquiétants. Des hommes plus vieux qu’elles, qui lui apportent chacun quelque chose, plus qu’un abri, plus qu’une assiette pleine, des regards sur la vie. Nous sommes dans un itinéraire initiatique étrange et attachant.
Et les parfums sont vertigineux, ceux des forêts et des lacs mais aussi ceux des êtres et des animaux. Margo est une olfactive et elle nous emmène dans ses senteurs capiteuses. Celles de la table surtout, qui nous rappellent tant nos lectures d’autrefois, notre « Jody et le faon » !
« Elle aiderait à faire cuire le pain et les tourtes pour les hommes et les fils Murray et Joanna lui apprendrait à préparer la soupe et les ragoûts pour l’hiver »
« Les pommes ne tarderaient pas à murir, les golden à croquer et les Jonathan acides pour confectionner les tartes. Certaines années, Joanna préparait du beurre de pommes, cuisant les fruits jusqu’à obtenir un goût de caramel fumé, puis y ajoutait des épices. »
On se prend à aimer cette jeune femme, sa solitude et son caractère indomptable, sa carabine, son inconscience et surtout son amour pour la rivière. Et, comme il se doit de toute quête réelle, la sienne finit par être la construction de sa propre identité, de la femme qui affrontera la vie avec toutes les armes, réelles et symboliques, dont elle aura besoin.
Bonnie Jo Campbell nous offre un livre qu’elle inscrit clairement dans la longue lignée des odes américaines à la Nature et aux êtres qui osent s’y confronter.
Leon-Marc Levy
NB : Vous verrez souvent apparaître une cotation de Valeur Littéraire des livres critiqués. Il ne s’agit en aucun cas d’une notation de qualité ou d’intérêt du livre mais de l’évaluation de sa position au regard de l’histoire de la littérature.
Cette cotation est attribuée par le rédacteur / la rédactrice de la critique ou par le comité de rédaction.
Notre cotation :
VL1 : faible Valeur Littéraire
VL2 : modeste VL
VL3 : assez haute VL
VL4 : haute VL
VL5 : très haute VL
VL6 : Classiques éternels (anciens ou actuels)
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