Hymne, Lydie Salvayre
Hymne, aout 2011, 240 pages, 18 euros
Ecrivain(s): Lydie Salvayre Edition: SeuilWoodstock, 18 aout 1969, 9 heures du matin. Ils sont vingt mille, fatigués, endormis, là depuis trois jours, trois jours de fête, de musique. Ils sont vingt mille, sur les quatre cent cinquante mille, qui auront attendu. C’est la presque fin du festival, le premier du genre, trois jours dans la boue, les images qui existent l’attestent, trois jours de musique, Bob Dylan, Carlos Santana, les Who, bien d’autres encore. Jimi Hendrix entame, ce matin, ce qui restera un cri d’amour et de désespoir, The Star Spangled Banner, l’hymne national américain, et vingt mille personnes seront abasourdies par la puissance du cri, l’énormité du son, et la solitude du musicien.
C’est là l’origine du beau texte de Lydie Salvayre, ce matin duquel personne ne sera sorti indemne, texte écrit comme la musique de Hendrix, une respiration haletante, aux syncopes magistrales, aux harmonies rugueuses. Lydie Salvayre écrit sous la dictée de cette musique dont elle dit qu’elle fut « un cri insoutenable, insoutenablement beau, et paradoxalement libérateur ». Pour elle, ces trois minutes et quelque quarante secondes concentrent les blessures du musicien et « tous les refus d’une jeunesse que l’avidité, la brutalité et le prosaïsme de la société d’alors révulsaient jusqu’à la nausée ».
Ce sont donc aussi les blessures de l’homme, qui perd sa mère très jeune, dont la timidité maladive est sans doute la traduction, qui se donnent à entendre dans cet hymne. Jimi Hendrix traversera sa brève existence en s’excusant, parce que perclus de doutes mais qui cependant n’était pas dupe d’une époque qui croyait que « le pouvoir des fleurs désarmerait les mains les plus militaires ». C’est un homme seul qui fait jaillir de sa guitare des sons sursaturés, des cris, des plaintes, qui disent la solitude mais aussi la désespérante beauté du monde.
Lydie Salvayre a dû écouter bien souvent (et visionner tout autant) ce moment qui marque la fin d’une époque, qui sonne le glas des utopies dont nous manquons cruellement pour adopter ce ton ou plutôt cette écriture musicale qui retrace plus sa vision du musicien génial qu’une fidèle trajectoire. Pourtant, si tous les faits relatés sont réels, ce sont les sentiments induits qui font la trame de ce beau texte qui ne s’adresse ni aux puristes, ni adorateurs inconsolables. Lydie Salvayre nous livre donc une pure création littéraire, esthétique, qu’il faut apprécier en tant que telle.
Guy Donikian
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