Hurry on down, Les vies de Charles Lumley, John Wain (par Théo Ananissoh)
Hurry on down, Les vies de Charles Lumley, octobre 2018, trad. anglais Anne Marcel, 309 pages, 18,90 €
Ecrivain(s): John Wain Edition: Editions du Typhon
Exactement au bout du premier tiers du roman, peu avant la centième page, le roman prend soudain un envol somptueux. Les pages qui précèdent en faisaient la promesse par une qualité de description et une écriture – une traduction – limpide empreinte d’un humour subtil. Cette première « partie » installait le personnage de Charles Lumley. Cela s’impose car il s’agit d’une sorte d’anti-héros, d’un être sans qualité ou défaut particuliers qui induiraient du romanesque ; d’un jeune homme résolu à rester « en dehors de la lutte » – résolution dont il n’aura lui-même une claire conscience que peu à peu, après bien des mésaventures. Un révolté qui s’ignore et qui n’agit jamais pour une telle raison.
« – Je suis peut-être exactement comme les autres, c’est possible, je n’y peux rien. Sans doute, j’ai refusé une vie calme, bourgeoise, comme vous, mais je n’ai jamais fait d’éclat. Je ne me suis jamais révolté, c’est cette vie qui n’a pas voulu de moi, je n’ai jamais pu y entrer, voilà tout ».
Nous sommes dans l’Angleterre des années cinquante. A vingt-deux ans, au sortir de l’université, Charles Lumley ne sait pas quoi faire dans la vie. Littéralement, il ne sait même pas où aller. Ce n’est pas faute d’y avoir réfléchi, pourtant. Il a choisi une ville au hasard, a pris une chambre chez une logeuse, et a tenté un effort « de recueillement » pendant vingt-et-un jours. Sans parvenir à se découvrir une envie, une idée même approximative de ce qu’il peut faire de son existence. Autour de lui, l’incompréhension jusqu’alors plus ou moins contenue, à présent qu’il a fini ses études universitaires, se mue en impatience outrée et même en hostilité agressive face à la placidité qu’affiche l’intéressé.
« D’une secousse, Charles se mit debout et s’obligea à avancer. On pense mieux en marchant. Mais à quoi réfléchir ? Il n’avait qu’un problème à résoudre : comment utiliser les vingt-deux premières années de sa vie comme fondations pour les cinquante à venir ? A supposer qu’il y en eût cinquante autres ; l’espace d’un moment, le nuage en forme de champignon, qui se trouvait en permanence à l’arrière-plan de sa conscience, s’avança et recouvrit le reste ».
Mais, puisqu’il ne supporte pas de revoir ses parents et qu’il évite les amis et autres proches, il lui faut trouver des moyens autonomes de se loger et de se nourrir. John Wain tisse ainsi avec une maîtrise et une imagination jamais en défaut une suite de hasards et d’aventures qui semblent quotidiennes, voire banales mais qui sont à chaque fois romanesques. Ce jeune homme sans caractéristique particulière – mais pas sans caractère –, sans obsession d’aucune sorte, enchaîne, à travers une Angleterre récemment sortie de la guerre, des situations qui tiennent en haleine le lecteur. Tour à tour, il est laveur de carreaux, trafiquant de drogue quoique à une échelle d’exécutant, chauffeur de voiture, videur dans un club, escroc… Il vivra une saisissante histoire d’amour avec une femme fascinante dont le mari lui viendra en aide à la suite d’un grave « accident » d’automobile… Tout le suc, si l’on ose dire, est dans les concours de circonstances jamais prévisibles mais tout naturels qui font passer Charles Lumley d’un épisode à un autre. John Wain, encore une fois, excelle à tisser les hasards – c’est l’une des fortes qualités de ce roman passionnant où un être en quête de liberté découvre que même pour qui recherche la neutralité, pour qui « ne veut pas passer son existence à mordre et à être mordu », il y a aussi nécessité de lutter.
Théo Ananissoh
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