Humeur noire à Venise, Olivier Barde-Cabuçon
Humeur noire à Venise, Une enquête du commissaire aux morts étranges, Olivier mars 2015, 336 pages, 22 €
Ecrivain(s): Olivier Barde-Cabuçon Edition: Actes Noirs (Actes Sud)
« La beauté n’en est que plus belle lorsqu’elle est éphémère. Volnay fit arrêter la voiture pour admirer la vision de cette ville en apesanteur, les flancs caressés par l’eau… La cité flottante se hérissait de clochers et de mâts de bateaux. Voilé d’azur, le soleil levant illuminait de ses rayons les toits des palais et l’eau des canaux renvoyait l’image déformée de ceux-ci à l’infini ».
Venise de jour et de nuit pour Volnay et son moine de père invités à résoudre une énigme – des pendus que l’on retrouve sous les ponts – à éviter un drame – la mort annoncée et programmée du comte de Trissano – L’instant où surgit la vérité a quelque chose de magique qui sort l’homme de sa torpeur. Mais aussi à débarrasser son père de l’humeur noire qui le mine. Venise et ses masques, ses intrigues, ses complots, ses terres et sa mer, ses canaux, ses palais, sa flamboyance en ce XVIII° siècle, le siècle d’Humeur noire à Venise, sous l’œil et la plume de William Shakespeare et de Carlo Goldoni et sous la haute protection de Marco Polo.
Venise de jour et de nuit pour Olivier Barde-Cabuçon, amateur éclairé de ce trésor flottant, inspiré par ce siècle lumineux, où le carnaval est permanent, goûtant et nous faisant goûter au bonheur d’une langue et d’un style qui ont la vivacité et l’éclat d’un concerto pour Mandoline d’Antonio Vivaldi, clarté, précision, mesure, rythme, et par instant, comme une montée des eaux, des éclats et des éclairs qui surgissent dans le ciel de la place Saint-Marc.
« La ville irradiait de beauté sous la lumière de l’astre du matin. Goldoni le conduisit jusqu’à un quai où les gondoles se trouvaient attachées à d’élégants bâtons de verre colorés. Il s’entretint brièvement avec un gondolier et fit signe à Volnay de le rejoindre. Une fois l’embarcation lancée sur l’eau, il balaya la ville de la main ».
Venise de jour et de nuit, où de tous il faut se méfier. Une ombre assassine, un troublant procurateur de Saint-Marc, un mariage fort bien enragé, des paris sur la mort annoncée d’un notable ruiné qui rapportent gros, une jeune fille travestie en garçon pour payer le dû de son père, des coups de feu, des masques qui tombent, un policier trouble, des révélations et des confidences, des stratégies qui sont le terreau du dramaturge. Venise de jour et nuit et un mystère qui en chasse un autre, un pendu qui finit par parler et dévoiler les crimes qui l’ont accompagné, une chambre inaccessible alors que le meurtrier s’y trouvait. Tout un monde troublant et miraculeusement agencé par l’auteur.
« (Car) nous sommes dans un théâtre dont Venise est la scène. Nous récitons tous très bien notre rôle. Mais que l’on arrache les masques et l’on redécouvre la nature humaine, un instant travestie ».
Venise de jour et de nuit où les masques finissent par tomber, les énigmes résolues, et Volnay peut s’embarquer pour Paris – d’où il se trouvait il ne pouvait voir les larmes tracer un sillage humide sur les joues de Flavia – le moine est à ses côtés, guéri de son humeur noire, fixant lui aussi la ville à fleur d’eau qu’il quitte en murmurant une dernière fois : Jusqu’à nos derniers jours, nous serons brûlés par un éternel besoin de retour. Venise : veni etiam : « viens à nouveau ».
Philippe Chauché
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