Hôzuki L’ombre du chardon, Aki Shimazaki (par Patrick Devaux)
Hôzuki L’ombre du chardon, Aki Shimazaki, juin 2019, 128 pages, 6,80 €
Edition: Actes Sud
Madame Mitsuko et Madame Sato lient connaissance lors d’un achat de livres de philosophie. Leurs enfants respectifs vont sympathiser entre eux, suscitant un amical élan entre les deux femmes. L’intrigue se noue de vies secrètes en non-dits, épreuves féminines à l’appui dans ce monde de traditions ancestrales ayant cours, encore de nos jours parfois, au Japon. L’atmosphère est brillamment rendue à l’appui du décor et de cette littérature très efficace, clairsemée de références inhérentes à la forte tradition japonaise, telle ce « Miaï » (rencontre arrangée en vue d’un mariage) qui en dira long sur le vécu d’une des protagonistes, Madame Sato, secrète avec des intentions à rebondissements.
Outre d’être libraire en livres anciens fort recherchés (cette ambiance est particulièrement bien rendue), Madame Mitsuko exerce, en soirée, un second métier dans le « Yükaku » (quartier des prostituées). Les intrigues sont multiples, notamment pour ce qui concerne les enfants, Tarô et Hanako, lesquels communiquent via « Hiragana » (écriture syllabique japonaise, Tarô étant, lui, sourd de naissance).
Le fil conducteur du roman se fait « Hôzuki » (physalis) alors que le moindre flocon de neige aura une importance majeure dans l’intrigue jouant du destin tel un « Momotarô » (conte de fées japonais). Le roman, outre d’être superbement écrit, fait la part belle aux notions importantes d’une certaine philosophie asiatique :
« Je descends à la boutique. Ma mère parle avec un client. Je l’interromps :
– Où est Tarô ?
– Il n’est pas rentré.
J’éprouve un étrange pressentiment :
– Si longtemps ?
Je téléphone chez les voisins. La jeune femme me répond :
– Tarô nous a quittés il y a une heure ! Je l’ai vu par ma fenêtre franchir la porte de votre arrière-cour.
Je suis confuse. Elle ajoute :
– Aujourd’hui, il n’a pas posé de questions intéressantes sur le bouddhisme.
– Sur le bouddhisme ?
– Oui. Il sait qui est Shaka et il m’a demandé ce que signifie “atteindre l’éveil” ».
Aki Shimazaki suscite, elle, en tout cas, l’éveil du lecteur tenu en haleine par l’étrange destin de ce petit garçon sourd, Tarô, mais aux gestes et à la maturité que parfois n’ont pas les adultes.
« Hôzuki, hôzuki, l’amour en cage
Orange comme le lis tigré
Eclatant comme le soleil.
Quelle joie ! Tu es ma lumière »… chante ainsi la sage-femme berçant l’enfant.
L’Amour en cage ? Cela reste à voir…
Et, après lecture, ne plus voir un hôzuki (physalis) qu’avec dans l’œil une étincelante lumière orange.
Patrick Devaux
Aki Shimazaki est une écrivaine québécoise, née en 1954 à Gifu au Japon. Elle a immigré au Canada en 1981 et vit à Montréal depuis 1991. Écrits en français, ses livres ont été traduits en anglais, en japonais, en serbe, en allemand, en hongrois et en espagnol.
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