Hotel Roma, Pierre Adrian (par Philippe Leuckx)
Hotel Roma, Pierre Adrian, Gallimard, août 2024, 190 page, 19,50 €
Edition: Gallimard
Un jeune écrivain de trente-trois ans, déjà expert de Pasolini, entre, avec ce beau récit, dans le compagnonnage d’un des écrivains majeurs de l’Italie du XXe, Cesare Pavese, qui s’est suicidé à l’Hotel Roma de Torino, le 27 août 1950.
Les amis de Pavese eussent aimé lire ce livre-témoignage, en hommage à cet écrivain, parti si tôt, doué comme peu, brillant romancier, magistral poète, talentueux traducteur de l’anglais, mais si fragile, si solitaire.
Adrian se met véritablement à la quête des dernières traces de Pavese, se rendant sur place, en compagnie de son amie « la fille à la peau mate », à Turin, dans le village natal de San Stefano Belbo, à Brancaleone de Calabre où Pavese fut « confinato » sous Mussolini, à Rome, rencontrant l’un des derniers amis vivants de Pavese, Franco Ferrarotti.
Se glissant dans les paysages, rues, chambres, maisons de l’auteur, Adrian en hume les atmosphères en décrivant au plus vif, au plus près les ambiances, les fins de journées, les bars où l’écrivain piémontais buvait du barbera.
Les descriptions si soucieuses sur les terres pavésiennes font entrer le lecteur au sein d’un univers, celui des dernières semaines de l’écrivain suicidaire. Se servant du journal Le Métier de vivre, partant de fragments des œuvres célèbres (Le Bel été ; La lune et les feux), avec l’aide de lettres de Pavese, Adrian restitue l’aura des derniers jours. On est sur les traces de Pavese, on partage ses moments de solitude, on est dans les rues avec lui, comme le dernier soir quand Cesare part dans Turin pour écumer les rédactions encore ouvertes.
Pavese ne fut guère doué en amours, et ses rencontres furent le plus souvent condamnées au gâchis. La cause de ses tourments est souvent évoquée dans Le Métier de vivre, son impuissance, sa difficulté à recevoir les « je t’aime » attendus. Défilent des amours passagères, Constance, Tina, Bianca, Pierina, tant d’autres.
Jusqu’à la fin, Pavese travailla à son œuvre, répondit au courrier, du moins jusqu’au 17 août où il laisse un message clair sur la fin de ses activités. Il n’écrira plus.
Pourtant, l’année 1950 fut celle de son Prix Strega, obtenu pour Le Bel été. Mais l’auteur n’est déjà plus là, ce n’est qu’une ombre, il ne dort plus, se nourrit de somnifères. La solitude est extrême et la dernière relation amoureuse un désastre.
Pavese va mourir seul, comme une bête, en cet août désertique : les amis sont en vacances ou le ratent de peu. Ce qu’il avait conçu comme destin pour Rosetta, qui se suicide dans Entre femmes seules, il va le vivre à l’Hotel Roma. On le retrouve, avec ses papiers en ordre, le manuscrit du Métier de vivre, et le témoignage inscrit sur une des pages de Dialogues avec Leuco, qu’il considérait comme son meilleur livre.
Adrian nous laisse là un bijou littéraire. Son livre, beau par son écriture, sa ferveur, son attachement à la réalité tangible de la mémoire et des ressources littéraires, est aussi une œuvre émouvante, dans les pas d’un géant fragilisé par la vie.
Philippe Leuckx
Pierre Adrian, né en 1991, auteur de La Piste Pasolini ; Les Bons Garçons. Il a obtenu le Prix des Deux Magots. Il vit à Rome.
- Vu : 655