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Hommage à Philippe Sollers, Collectif (par Philippe Chauché)

Ecrit par Philippe Chauché le 07.12.23 dans La Une CED, Les Chroniques, Les Livres

Hommage à Philippe Sollers, Collectif, Gallimard, novembre 2023, 144 pages, 12 €

Hommage à Philippe Sollers, Collectif (par Philippe Chauché)

 

« C’est dans le village d’Ars que je serai enterré, près du carré des aviateurs anglais, australiens et néo-zélandais, tombés ici pendant la Seconde Guerre mondiale. Ils ont 22, 23 ans, ils sont pilotes ou mitrailleurs. Personne n’a réclamé leurs corps. Ce voisinage me plaît » (Navigation, Un Vrai Roman, Mémoires, Philippe Sollers, Plon, 2007).

« Que la promesse des “oiseaux nés libres”, comme ceux que tu aimais observer en Ré, te soie tenue, mon cher Philippe : “Où que nous allions, tout devient libre et ensoleillé autour de nous !”. Nous ne pouvons en douter » (Antoine Gallimard, Sollers à l’infini).

« Au fil du temps, dans des carnets, j’ai noté des phrases. Parfois je ne sais plus d’où elles viennent. Peu importe puisqu’il s’agit d’un unique livre, dont Sollers délivrait, régulièrement, des fragments » (Josyane Savigneau, Sollers et Lui).

« Vous le lisez et il est aussitôt présent, il marche avec vous, au milieu du désert comme au fond de la vallée verte, sur la plage comme le long des façades classiques de Bordeaux ou Venise » (Marc Pautrel, Le vrai corps est un texte).

Comment rendre hommage à l’un des plus grands écrivains de langue française ? C’est, on ne peut en douter, cette question qu’a dû se poser et ne cesser de se poser Antoine Gallimard, capitaine du navire amiral Gallimard et ami de Philippe Sollers, et par rebond, comment rendre hommage à un ami ? La réponse est dans ce petit livre, aux mille reflets, et elle est admirable. C’est l’ami, l’écrivain et l’œuvre qui sont ici salués, avec force, justesse, admiration et émotion. Comment un tel écrivain, un écrivain du siècle et de deux siècles, pourrait-il laisser indifférent ou même et c’est arrivé souvent de son vivant, susciter mufleries et calomnies ? Peut-être est-il trop libre et trop solitaire ? Pour s’en convaincre, s’il le fallait, on peut voir et écouter, ou revoir et entendre, le film que lui consacra André S. Labarthe, justement baptisé Sollers, l’isolé absolu (1). Depuis son roman Femmes, il avait son bureau dans le navire amiral, qu’il partageait avec son ami Marcelin Pleynet, c’est de ce phare de l’édition qu’il observait, lisait, écrivait, et éditait ce qui lui chantait et il chantait juste, le catalogue de sa Collection L’Infini est là pour le prouver, s’il le fallait. Il savait quand se montrer et quand se cacher, quand rendre sa parole publique et télévisuelle et quand la réserver à l’alchimie intime du roman. Il ne craignait ni l’ombre, ni la lumière, un peu comme un kabbaliste, il maniait et remaniait ses romans et ses essais, dont le centre restait peut-être Paradis, Paradis-I et II, qui allaient irriguer toute son œuvre à venir. Contrairement à un autre solitaire qu’il admirait, Guy Debord, il ne tournait pas dans la nuit, mais dans la lumière, et n’était pas dévoré par les flammes, mais, il projetait cette lumière océane dans ses romans, tous solaires, comme son nom, Sollers, de sollus et art : tout à fait industrieux, habile, adroit, ingénieux. Qui est Philippe Sollers ? et non qui était Philippe Sollers, gardons en tête le présent, gardons-le au présent, tant sa présence physique irradie les pages de ce gracieux petit livre. Il a déployé l’art du roman, et celui de la citation, il a fréquenté les anciens, et les modernes, avec le même plaisir gourment, un livre est un vin de Bordeaux, qui se déguste quand son temps est venu et Philippe Sollers n’aura cessé d’écrire sur Temps retrouvé.

« Pour qui le fréquente, il y avait toujours une parole juste, et même retentissante – une parole substantielle. Aussi n’est-il guère excessif d’affirmer que Sollers fut, pour beaucoup, et, d’une manière éminente, un passeur, un initiateur, pour ne pas dire un maître de sagesse » (Valentin Retz, Une voix qui résiste à la mort).

« Espion, agent secret, toréador des arènes Sébastien-Bottin, gondolier bordelais, corsaire en Ré. Ré, fin et début du voyage du clandestin Sollers. Il a retrouvé les vagues, ses fidèles compagnes qui, “comme des jeunes filles se tenant par la main dans une ronde, l’avaient entouré à sa naissance” (Chateaubriand) » (Anthony Palou, Sollers ou la Guérilla permanente).

« D’où je vous écris, le temps est beau, l’odeur du jardin entre en bouffée légères par la fenêtre entrouverte. Des clématites, avec leur léger parfum d’amande, leur feuillage coriace teinté de bronze, leurs fleurs discrètes, de petites étoiles jaune vif et tachetées de bordeaux. Pour tous ceux qui l’ont connu et aimé, l’aventure Sollers continue » (Michaël Ferrier, Sollers le sans-pareil).

Dans l’hommage que nous lui rendions dans La Cause littéraire avec des écrivains, nous écrivions cela (2) : Nous lisons, nous voyons, nous écoutons ses livres, et nous croyons que Philippe Sollers est unique, que c’est l’un des plus grands écrivains français vivants, et nous pensons en écrivant cet hommage qu’il n’est peut-être pas aussi mort qu’il en a l’air…

L’ingénieux et lumineux écrivain vénitien de Bordeaux s’en est donc allé.

 

Elle est retrouvée. / Quoi ? – L’Éternité.

C’est la mer allée

Avec le soleil (L’Éternité, Arthur Rimbaud)

 

A la dernière page de son dernier roman, Graal, publié en 2022, on peut lire : L’existence se présente sous la forme de petits romans métaphysiques, où chaque instant compte. Jean a bien vu ce qu’il a vu, le tombeau est vide.

C’est bien parce que le tombeau est vide, que la littérature est aussi resplendissante, aussi lumineuse, aussi parfumée, mouvante, vivante, miraculeuse, solaire et musicale, composée, et éblouissante, les écrivains qui participent à cet hommage le prouvent à chaque ligne. Et comme on n’en a pas fini avec Philippe Sollers, sa maison, Gallimard, annonce la parution l’an prochain de son dernier roman inachevé : La deuxième vie. Cet hommage nous y conduit avec finesse et admiration. C’est une résurrection annoncée.

« Ce verre de Margaux, sombre lumière dans le cristal, atteint Hölderlin il y a 214 ans. Une fois de plus, il se dit à lui-même : “Tout est intime”. Ou encore : “Un désir s’élance sans cesse vers ce qui n’est pas lié”. Ou tout simplement : “Le plus proche, meilleur” » (Philippe Sollers, Beauté).


Philippe Chauché


Ont participé à cet hommage : Jean-Paul Enthoven, Colette Fellous, Bernard-Henri Lévy, Franck Nouchi, Valentin Retz, Jean-Jacques Schuhl, Brina Svit, Chantal Thomas, Catherine Cusset, Michaël Ferrier, Yannick Haenel, Lucile Laveggi, Catherine Millot, Thomas A. Ravier, Frédéric Beigbeder, Frans De Haes, Philippe Forest, Arnaud Junin, Jean-Hugues Larché, Jean-Luc Outers, Anthony Palou, Marc Pautrel, Élisabeth Roudinesco, Vincent Roy, Josyane Savigneau, Arnaud Viviant, et Antoine Gallimard.

 

(1) 160° numéro de la Collection Un siècle d’écrivains, de Bernard Rapp, réalisé par André S. Labarthe : « Voici le plus reconnu et le plus combattu, le plus sollicité et le plus secrètement haï, le plus turbulent et le plus gênant, le plus incontrôlable donc le plus intolérable, bref le moins localisable des écrivains contemporains ».

https://www.pileface.com/sollers/spip.php?article397

(2) https://www.lacauselitteraire.fr/hommage-a-philippe-sollers



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A propos du rédacteur

Philippe Chauché

 

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Rédacteur

Domaines de prédilection : littérature française, espagnole, du Liban et d'Israël

Genres : romans, romans noirs, cahiers dessinés, revues littéraires, essais

Maisons d’édition les plus fréquentes : Gallimard, Minuit, Seuil, Grasset, Louise Bottu, Quidam, L'Atelier contemporain, Tinbad, Rivages

 

Philippe Chauché est né en Gascogne, il vit et écrit à St-Saturnin-les-Avignon. Journaliste à Radio France durant 32 ans. Il a collaboré à « Pourquoi ils vont voir des corridas » (Editions Atlantica), et récemment " En avant la chronique " (Editions Louise Bottu) reprenant des chroniques parues dans La Cause Littéraire.

Il publie également quelques petites choses sur son blog : http://chauchecrit.blogspot.com