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Hommage à Philippe Sollers

Ecrit par Philippe Chauché 25.05.23 dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Gallimard

Edition: Gallimard

Hommage à Philippe Sollers

Photographie Francesca Mantovani © Éditions Gallimard.

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Je ne tiens pas du tout à mourir, mais, s’il le faut physiquement, j’accepte, comme prévu, qu’on enterre mes restes au cimetière d’Ars-en-Ré (Sollers en Ré), à côté du carré des corps non réclamés, des très jeunes pilotes et mitrailleurs australiens et néo-zélandais, tombés là, en 1942 (pendant que les Allemands rasaient nos maisons), c’est-à-dire, pour eux, aux antipodes ;

Simple messe catholique, à l’église Saint-Etienne d’Ars, XIIe siècle, clocher blanc et noir servant autrefois d’amer aux navires, église où mon fils David a été baptisé ;

Sur ma tombe, 1936-20…, cette inscription : Philippe Joyaux Sollers, Vénitien de Bordeaux, écrivain ;

Si un rosier pousse pas trop loin, c’est bien. (Philippe Sollers).

Philippe Sollers, que nous pensions immortel, s’est éteint. C’est une perte immense pour la littérature et pour l’édition. De Tel Quel à L’Infini, d’Une curieuse solitude (1958) à Grall (2022) qui s’ouvrait sur cette parole de Jean : « Alors entre aussi l’autre, arrivé le premier au tombeau. Il voit, et il croit », il aura marqué son temps, qui est devenu le nôtre.

Nous lisons, nous voyons, nous écoutons ses livres, et nous croyons que Philippe Sollers est unique, que c’est l’un des plus grands écrivains français vivants, et nous pensons en écrivant cet hommage, qu’il n’est peut-être pas aussi mort qu’il en a l’air.

Philippe Sollers nous a offert une œuvre magistrale, qui s’avère aujourd’hui immortelle. Nous l’avions rencontré le 25 avril 2017 dans son bureau du Navire Amiral Gallimard, souvenir d’un homme courtois, d’une grande amabilité, curieux, brillant, et lumineux :

https://www.lacauselitteraire.fr/la-cause-de-philippe-sollers-par-philippe-chauche/

Nous le lisions depuis le début des années 80, et nous n’avons pas cessé.

Il y a les romans qui ne cessent de nous interpeller en musique, de nous inviter à danser, les yeux dans les yeux du roman ce sismographe du Monde, des romans aux titres inspirés et lumineux : Paradis (I et II), Le Lys d’orLa Fête à VeniseUne vie divineBeautéL’Éclaircie,Graal. Il conviendrait de citer tous ses romans, tant ils sont actuels, vivants, vivifiants, inspirés, réjouissants, chantants, dansants, lumineux. Mais aussi son Encyclopédie qui a vu le jour dans les colonnes du Monde des Livres : La Guerre du goûtÉloge de l’infiniDiscours parfait, et sa correspondance amoureuse avec Dominique Rolin.

C’est, écrit-il dans Un vrai roman, le dictionnaire (qui) m’a donné mon nom d’écrivain :Sollers, de sollus et ars : tout à fait industrieux, habile, adroit, ingénieux.

L’ingénieux et lumineux écrivain vénitien de Bordeaux s’en est donc allé.

Elle est retrouvée. / Quoi ? – L’Éternité.

C’est la mer allée

Avec le soleil (L’Éternité, Arthur Rimbaud)

A la dernière page de son dernier roman, Graal, publié en 2022, on peut lire : L’existence se présente sous la forme de petits romans métaphysiques, où chaque instant compte. Jean a bien vu ce qu’il a vu, le tombeau est vide.

Nous avons demandé à des écrivains, plus ou moins proches de Philippe Sollers, de répondre à cette question, toujours au présent : « Que représente pour vous Philippe Sollers ? ».

Alors réponses ! et en musique !

Nicolas Idier / Josyane Savigneau / Jean-Michel Olivier / François-Henri Désérable / Amélie de Bourbon-Parme / Marc Villemain / Stéphane Barsacq / Vincent Roy /

 

Philippe Sollers, la Chine au cœur, par Nicolas Idier

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La première fois que je rencontre Philippe Sollers, c’est à l’oreille, comme il aurait dit. Comme tant de jeunes gens émerveillés par la littérature et admiratifs de ceux qui l’écrivent, je lui avais envoyé une lettre, et il m’avait non seulement répondu, mais appelé. Avec le recul, je mesure l’extraordinaire attention aux autres qui caractérise ce geste. On le disait influent, médiatique, stratège terrible, ancien maoïste devenu papiste, érotomane phallocrate, fumeur !, buveur !, mais à mes yeux, Philippe Sollers est avant tout un homme bon et généreux. Je devais avoir vingt-deux ans, ou peut-être moins. Je retrouverai la date plus tard, on a le temps. Sa voix était grave, précise, rapide, définitive. Il me demande si tout va bien, et me fixe un rendez-vous, aux éditions Gallimard, ou plutôt, au bistrot bien-nommé L’Espérance, à l’angle de la rue. De là, notre première rencontre, sous le signe de la Chine car, bien sûr, c’est de cela que j’étais venu lui parler.

Nous nous sommes vus, et revus, parfois même par la grâce du hasard objectif des rues de Paris. A chaque fois, soufflait le vent d’une joie communicative et la sensation d’approcher une idée du bonheur. Invariablement, nous parlions de la Chine, de sa politique, de son économie mais aussi de sa pensée classique, des traductions nouvelles, des artistes. Je commençais alors des recherches qui me mèneraient à consacrer une thèse de doctorat à Simon Leys, que j’avais également rencontré pour la première fois en 2005, en Belgique, et avec lequel il semblait être fier – peut-être soulagé ? – d’avoir pu récemment échanger. Ils avaient presque le même âge. Je l’avais plusieurs fois interrogé sur son étiquette maoïste de jeunesse, qui transparait presque tout du long des années Tel Quel, mais à chaque fois, il bottait en touche. Il s’était excusé, circulez, rien à voir. Mao, à ses yeux, était moins le responsable des horreurs politiques parmi les plus sombres du XXe siècle qu’un personnage historique voire littéraire, poète, calligraphe, empereur égaré. Sollers n’était ni sinologue, ni diplomate, ni journaliste. La Chine qui l’intéressait était une Chine sur mesure, une Chine subjective.

La sienne.

Sollers a fait le chemin inverse de celui de Simon Leys : ce dernier avait commencé par le vieux fond classique, puis, confronté à la Révolution culturelle, s’était confronté au contemporain, tandis que lui avait commencé par l’enfièvrement maoïste de l’époque, pour accoster peu à peu sur l’autre rive, celle de la Chine classique. Dans son petit bureau qui fait aujourd’hui partie de la légende, il avait accroché au mur un poème calligraphié ramené de son voyage de 1974. Il s’amusait à convoquer les quelques souvenirs de son initiation aux Langues O’ pour traduire les caractères qu’il reconnaissait : vent, montagne, pluie. La Chine montre la voie d’une réconciliation de l’homme avec la nature, ce qui le touchait au cœur. Sans doute est-ce pour cela qu’il s’extasiait d’une mauvaise photocopie d’une peinture à l’encre de Shitao, génie de la peinture du XVIIIe siècle : une pivoine à la feuille tracée d’un seul trait de pinceau – cet « unique trait de pinceau » conceptualisé par Shitao dans ses Propos sur la peinture du moine Citrouille-amère, traduits et commentés par Simon Leys – tout un univers qui était aussi le mien…

D’autres rencontres ont suivi, toujours plus chinoises, dont celle qui fut transcrite dans le volume Shanghai de la Collection Bouquins – « Shanghai. Corps et silence », également reprise dans sa Revue L’Infini puis dans un des recueils de sa grande entreprise encyclopédique, Discours parfait (à moins que ce ne soit Fugues… je suis dans un avion, et j’écris à main levée…).

Philippe Sollers, plus chinois que jamais, le jour où, sur la terrasse d’un immeuble dans le centre-ville de Shanghai, je reçois à nouveau un coup de fil de sa part. Il m’appelle depuis l’île de Ré, je l’entends très bien, sa voix est à la fois grave et enjouée. Il me demande de décrire ce qui m’entoure. Il veut un paysage de peinture montagne-et-eau, avec une silhouette minuscule serpentant sur un chemin escarpé. Je n’en suis pas si loin. De là où je me trouve, tout Shanghai est là, comme un rouleau de peinture déployé sous les yeux. Soudain, passe une mouette. Les mouettes sont nombreuses sur les eaux du Huangpu. Je l’en informe et il me répond, aussitôt, « heureux présage ». Il m’annonçait qu’il avait apprécié le manuscrit envoyé plus tôt et me proposait d’entrer dans sa Collection L’Infini, aux éditions Gallimard. Ce sera La musique des pierres. Depuis lors, la seule vue d’une mouette me procure une sensation d’un bonheur très précis.

A l’époque où je travaillais à l’Ambassade de France en Chine, je lui avais proposé une invitation, qu’il avait déclinée. L’avion, prétextait-il, le barbait. Je crois plutôt qu’il ne voulait pas abîmer la Chine intérieure qu’il portait en lui, habitée par les immortels taoïstes, les lettrés fonctionnaires, les poètes en exil et quelques femmes bien sûr, dont la mystérieuse Ysia – « une de mes meilleures sensations du dedans » – de Femmes. Vieux Chinois retiré dans son ermitage à moitié noyé dans la brume (ou la fumée de cigarette), le monde extérieur le contrariait chaque jour un peu plus. Il s’en éloignait. Sa source aux fleurs de pêchers – le paradis selon Tao Yuanming – était la bibliothèque.

Il y a quelques semaines, j’étais de nouveau en Chine, après en avoir été privé trois ans. J’ai profité d’une visite hors du temps dans la Cité interdite pour glisser à l’intérieur de la cavité d’un grand rocher du jardin impérial la première page d’Agent secret dont j’avais emporté avec moi l’édition de poche. C’était la nuit, et je doute que cette page ne soit retrouvée avant longtemps. Il y est question d’arbres, de fleurs, de papillons, de vagues, de mouettes encore – un poème chinois, en somme, qui s’achève sur ce message codé à la manière de Radio Londres :

« Le bonheur est possible.

Je répète.

Le bonheur est possible ».

Philippe Sollers, chinois jusqu’aux portes de la mort – ou disons plutôt de l’Éternité dans laquelle il croyait –, s’est éteint la nuit de Vesak, par une nuit de pleine lune pendant laquelle les bouddhistes du monde entier commémorent la naissance de Bouddha en 623 av. J.-C, il y a donc 2500 ans exactement. C’est également lors de Vesak que le Bouddha a atteint l’Illumination et qu’il est décédé dans sa quatre-vingtième année. A six ans près… Écrivant cela, j’entends soudain la voix grave de Philippe Sollers, le plus chinois de tous les écrivains français, étouffant un rire irrépressible : « Oh… comme c’est étrange… ».

Nicolas Idier

(s’il fallait citer un seul livre, je proposerais de retenir La musique des pierres, L’Infini, Gallimard, 2014)

 

Josyane Savigneau

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Ce que représente une voix qu’on entend tous les jours et qui soudain se tait ? Le moment n’est pas venu de le dire. Alors parlons de Sollers qui, lui, est toujours là. Je l’ai lu bien avant de le rencontrer. A la fac, au tout début des années 1970, mes condisciples, qu’on n’appelait pas encore « branchés », étaient des Telqueliens fanatiques. Moi, Sollers en pape de l’avant-garde, ça me laissait un peu froide. Mais je leur disais : « c’est un très grand écrivain ». Sacrilège ! le roman est mort, il n’écrira plus jamais de fiction. Ils négligeaient Lois (1972) que je lisais et relisais, sans tout comprendre, et que je viens de rouvrir. « Lui nommé ainsi par nécessité leur rendant ainsi leur force mort-née… ». « Les femmes se branlent fondamentalement à partir des morts, leur salive est donc plus acide ». Une phrase qui tombe à pic ces jours-ci.

L’année suivante H, j’étais loin… New York, et je ne l’ai lu qu’à mon retour deux ans plus tard. La fac était déjà oubliée et je me mettais en route pour un tout autre métier.

Avec Paradis, j’ai su que j’avais eu raison contre les fameux Telqueliens ne croyant pas à la fiction. Chef d’œuvre. « Pauvres femmes au contraire on les plaint on leur veut du bien obligées de faire semblant d’être folles de tourner enfin pigeon vole d’être ligotées dans l’ovol c’est pas qu’on les aime c’est pas qu’on les aime pas on les voit on les étudie, leur courage, leur ténacité leur sens des réalités bien comptées leur sinistre nécessité leur sublime animosité ».

Quand est arrivé Femmes, je venais de quitter les faits divers et les cours d’assises pour venir au « Monde des livres ». Bien trop craintive pour rappeler cette phrase à ceux que j’entendais dire qu’il avait trahi l’avant-garde, qu’il était « tombé » dans le « roman-roman » ou qui cherchaient « les clés », les descriptions de personnages connus, pour s’en indigner. Bien trop « petite » pour écrire sur lui. Sollers avait oublié que, dans le concert de critiques infectes, il y avait eu dans Le Monde un magnifique papier de Jacqueline Piatier. Il en est convenu quand il a été republié, il y a quelques années.

Ensuite… c’est une trop longue histoire. En 1987, juste avant qu’il ne commence à écrire régulièrement dans Le Monde des livres, j’ai fait avec bonheur une « une » sur Les Folies françaises, titrée « Sollers d’été, Sollers d’hiver ». Roman pour moi toujours magique. Puis je me suis interdit d’écrire sur ses livres. Sauf en 1993, quand, au Monde, on l’a exigé, comme une réponse aux calomnies qui avaient cours.

Celui que je lis, relis et relirai ? Passion fixe. Parce que Dora n’est pas Dominique, mais est aussi, et d’abord, Dominique et son magnifique « rire de gorge ». « Je la regarde. La beauté, en réalité, est une bonté vive, profonde, tendue comme il faut, marquée par la douleur. Beauté : bonté avertie. Laideur : ignorance haineuse. La beauté est l’intelligence du mal, la laideur la bêtise d’un faux bien menteur ».

Me revient la dernière phrase de l’autre Philip, Roth, mon « huger », comme Sollers le surnommait, dans Patrimoine : « On ne doit rien oublier ».

Alors, Agent secret : « Contrairement aux apparences, je suis plutôt un homme sauvage, fleurs, papillons, arbres, îles ». La comédie sociale, qui a déjà commencé autour de son cadavre, ne pourra rien effacer.

Josyane Savigneau

(dernier livre paru : Une conversation infinie, avec Philippe Sollers (Bayard) ; on peut aussi lire avec bonheur : La Passion des écrivains, Rencontres & portraits, Gallimard)

 

Jean-Michel Olivier

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J’ai commencé à lire Sollers à l’époque de Tel Quel. Période fascinante et un peu snob, disons-le. Il y avait dans la revue des textes géniaux (Foucault, Derrida, Blanchot…) les plus éclairants sur l’époque.

Ensuite, j’ai lu ses livres, virevoltants et brillants. Lautréamont nous a rapprochés, mais aussi Céline, Ponge, Aragon, etc. Il avait tout lu et tout compris. Son influence à la fois discrète et centrale s’est renforcée à partir de Femmes (1983), un chef-d’œuvre de musique et d’ironie. On ne se voyait pas souvent. Mais Philippe Sollers a marqué tout ce que j’ai écrit. Vivacité, agilité du franc-tireur, intuitions géniales, sens de la formule, etc. Vraiment un grand éclaireur de la littérature !

Jean-Michel Olivier

(Dernier roman paru : Fête des pères, Editions de l’Aire, Serge Safran)

 

François-Henri Désérable

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J’ai rencontré Sollers il y a dix ans – j’en avais vingt-cinq –, à la parution de Tu montreras ma tête au peuple. Il l’avait lu, et il m’avait reçu dans son bureau chez Gallimard. Sollers tel qu’on l’imagine : les bagues, le fume-cigarette, la curiosité, l’érudition, la malice, le rire en cascade. Nous avions parlé de Bernadotte, le maréchal d’Empire devenu roi de Suède, et qui dans sa jeunesse s’était fait tatouer « Mort aux rois ». Écrivez quelque chose là-dessus, m’avait dit Sollers, faites-en un roman dans L’Infini. Je n’en ai pas fait de roman, j’ai préféré écrire sur Évariste Galois, mais par la suite, Sollers a accueilli deux de mes textes dans sa revue : l’un sur un voyage à Beyrouth, l’autre sur un voyage à Vilnius (« Pour saluer un certain M. Piekielny) », qui pour le coup, donnerait plus tard un roman). Quand on se voyait, c’était toujours chez Gallimard, toujours dans son bureau. Michon a dit récemment qu’il était « le dernier écrivain du XIXe siècle ». Eh bien Sollers était le dernier écrivain du XVIIIe : il n’était pas le contemporain de Houellebecq, non, il était celui de Casanova. Celui de l’amour et du plaisir. J’ai lu beaucoup de choses sur Sollers depuis sa mort : « l’anarchiste bourgeois » (la formule est de Yannick Haenel, et elle est très juste), le « virtuose du troisième degré » (de Lambron, très juste aussi), etc. Mais il y a un point sur lequel les nécrologies n’ont pas assez insisté : son amour dévorant pour Venise. La première fois que je suis allé à Venise, c’était avec son Dictionnaire amoureux sous le bras. La découverte de Venise a été le plus grand choc esthétique de ma vie. Ce fut aussi le cas pour Sollers. Quand il arrive place Saint-Marc à l’automne 1963, son sac lui tombe de la main droite, tant il est « pétrifié et pris » : « Je sais, d’emblée, que je vais passer ma vie à tenter de coïncider avec cet espace ouvert, là, devant moi ». Quand on se voyait, on ne parlait que de Venise. Il n’y allait plus depuis la mort de Dominique Rolin. Un jour, mon téléphone sonne, je décroche et j’entends : « Désérable ? J’ai appris que vous alliez à Venise. Ce qui me ferait plaisir, vraiment plaisir, c’est que vous allumiez deux cierges à la Basilique Santa Maria della Salute pour elle et moi ». Dans l’un de ses derniers livres, où il parle de Venise, il m’avait laissé cette dédicace : « Eh bien, la magie continue ». Elle continuera encore : chaque fois que sur les Zattere je passerai devant la Calcina, où il avait ses habitudes, je penserai à lui.

François-Henri Désérable

(Dernier livre paru : L’usure d’un monde, Une traversée de l’Iran, Gallimard)

 

Amélie de Bourbon Parme : Sollers, toujours vivant

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Rares sont les rencontres dont on peut dire qu’elles ont changé votre vie. Sollers fait partie de ces êtres, économe en paroles et en gestes, dont l’esprit vous inspire et vous sauve, comme l’écrivait Céline à propos des danseuses qu’il adorait. Nous ne nous sommes pas vus souvent depuis ce jour où je pénétrais, tremblante et curieuse, dans le hall sacré de la rue Sébastien Bottin. Je fus frappée par sa délicatesse, sa mesure, aussi, comme une sorte de musicien de l’être, par son alliage rare de passion et de retenue, de rapidité et d’immuabilité profonde. Il bougeait comme il pensait, avec l’élégance des hommes arrimés à une passion fixe, cherchant l’ajustement entre vie et pensée, actes et mots, paroles et silence. Je ne fis jamais partie de ses intimes, ni de ses amis, mais la publication de mon premier roman dans sa collection, la lecture de ses livres, nos discussions, son esprit en mouvement, comme un alambic mystérieux, ont tissé un lien aussi puissant qu’une intimité amicale.

Il avait l’art de lire, de montrer le beau, de ciseler pour les écrivains, les artistes, les musiciens, Mozart, Vivant Denon, Casanova, Joyce, Caravage, Rimbaud, des textes éblouissants dont les titres tracent une voie élitiste et radicale : la guerre du goût, éloge de l’infini.

Innombrables sont les phrases que l’on voudrait garder, que l’on relit sans jamais en épuiser le sens, des éclats de rire autant que de regards qui traversent le magma de pesanteur qui agglutine nos vies. Ses chroniques trop vite interrompues dans le JDD rendaient le monde plus intelligent : qui d’autre que lui aurait pu si bien décrire le silence des passagers de la ligne de bus 63 alors que la neige avait commencé à tomber : « Soudain, ils se taisaient mieux ». Le génie de Sollers allait partout, observait, sculptait le réel, prenait le monde au mot, cruellement et tendrement. Ses questions étaient des réponses : « de quelle vérité l’homme est-il capable ? » s’interrogeait-il dans son livre Illuminations consacré aux textes sacrés.

A travers ses livres, il se dégage cette idée fondamentale que Sollers incarnait : la vérité est mouvement avant d’être révélation. Il se disait des choses essentielles lors de nos rencontres dans les salons gris et chic de l’hôtel Montalembert ou dans son petit bureau, base de repli, ou d’avant-poste militaire, à la frontière d’un monde menacé par l’anodin, le trivial, le vulgaire. Le graal n’était pas Dieu mais peut-être seulement la « nervure érotique des choses », ce que tout véritable écrivain doit être capable de trouver sous peine de rater sa cible. Il se tenait assis à sa table de travail, chez Gallimard, avec son fume-cigarette, embusqué derrière cette barrière de livres, comme autant de munitions contre l’ennemi aux aguets, la bêtise et le moutonnement du monde. Lorsqu’on lui rendait visite, on arrivait impatient de l’entendre prononcer cette parole juste, comme le plus grand des réconforts ou le pire des piloris. J’avais été désarçonnée par son assurance, la fermeté avec laquelle il avait répondu à l’évocation pourtant fugace des événements moins heureux qui traversaient ma vie à cette époque-là : en souriant, il avait murmuré à propos des commentateurs : « Ils sont contents, ça leur fait plaisir… ». Cette parole m’avait aidée à sentir que la recherche de l’assentiment du monde est la pire des compromissions, que le mensonge rôde, que la pitié est dangereuse. Après la lecture de mon roman sur Louis XVII, il avait laissé un message inoubliable sur mon répondeur, de cette voix qui vous traverse l’âme et le corps, en terminant par cette expression banale mais qui l’était moins à propos de ce livre qui dévoilait la véritable identité de louis XVII grâce à son cœur devenu relique parlante : « Je vous remercie de grand cœur ». Il m’avait confié que ce qui l’avait autant séduit était cette « absence de pathos », « cette bouillie romantique », « ce gras des sentiments » qui obstruent l’émotion comme les artères.

Ces derniers temps, je pensais souvent à sa mort et me disait que j’aimais le savoir vivant, même s’il était invisible. Son esprit de résistance continuait de vibrer. Aujourd’hui, pourtant, il n’est pas mort. Plus que jamais, croire en sa disparition serait pire qu’une trahison, une faute de goût.

Amélie De Bourbon Parme

(prochain ouvrage à paraître : Les trafiquants d’éternité, L’Ambition, Gallimard, 08-06-2023). Philippe Sollers a édité dans L’Infini : Le sacre de Louis XVII)

 

Marc Villemain

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Rien n’est plus ardu (et hasardeux) que l’appréciation d’une œuvre et de son auteur sans cette sorte d’intelligence que confèrent l’espace et le temps. Il faudrait pouvoir s’extraire de la gangue des opinions à laisser courir, des réactions conditionnées et autres phénomènes d’influence qui régentent les passions modernes. Pas simple. Spécialement pour nous autres, enfants pérégrins de ces XXe et XXIe siècles hyper-communicationnels qui ont vu les tragédies accélérer comme jamais notre course à la destinée. De tout cela, Philippe Sollers était intimement conscient. Si bien que ses appels martelés à la joie, à l’extase, voire à la béatitude, tout ce à quoi il arrive qu’on le résume un peu superficiellement, me sont toujours apparus aussi comme une stratégie de lutte, acharnée, peut-être désespérée, contre l’empire de la mélancolie et le spectacle tout à la fois burlesque et terrifiant qu’est l’aventure des Terriens, ce drame épique. Mais, bref, il nous faut bien juger avec ce que l’on est, ce que l’on a ; tout en nous ménageant une assez confortable marge d’erreur.

Si j’insiste un peu sur l’embarras qui est le nôtre à jauger d’une œuvre et de son auteur « en temps réel », c’est qu’il me revient une anecdote qui remonte à l’époque où j’étais étudiant à l’Institut d’Études Politiques de Toulouse. J’y avais un professeur, aujourd’hui disparu, sympathisant d’une France provinciale non « moisie », catholique espiègle et tempéré dans le regard duquel se trémoussait toujours une coquinerie, tenant d’une droite digne (pour faire court : gaullienne, lettrée et plutôt indifférente à la « phynance ») avec lequel j’avais noué une certaine relation d’amitié. Nous n’aimions rien tant que nous narguer, non sans une bonne dose de mauvaise foi – je cultivais alors volontiers le cabotinage sollersien. Toujours est-il qu’à la fin d’un exposé que je présentai sur les têtes pensantes et autres grandes figures littéraires du temps (nous sommes au milieu des années 1990), lorsqu’il me demanda qui, selon moi, traverserait l’oubli, je m’entendis répondre : « Sollers ». Écart qu’il mit sur le compte de ma proximité géographique (je venais d’un coin de Charente balnéaire) avec ce Girondin à tête de moine libidineux. « On verra dans trente ans », ne trouvai-je alors qu’à répondre – sur un ton bravache, comme il se doit.

Trente ans, on y est. Et Philippe Sollers vient de mourir.

Mon pronostic estudiantin s’est-il vérifié ? Je ne saurais l’affirmer. L’époque s’entiche plus volontiers du noyau visible des comètes qu’elle ne porte attention à leur chevelure. Quant au ciel des arts et des idées sublimées, il est tant saturé d’astres éphémères – sans parler de leurs satellites, qui pour beaucoup explosent en plein vol – que l’on n’y perçoit qu’à grand-peine d’hypothétiques traînées de lumière. Aussi ai-je envie de redire : « On verra dans trente ans. » Car c’est maintenant, finalement, que tout commence.

C’est qu’on n’entre pas en sollersie comme en religion. Ce serait d’ailleurs bien le comble, en sus de trahir le facétieux grand prêtre : avec ou sans vaticaneries, ce fringant dix-huitièmiste s’est lui-même bien trop ingénié à louvoyer, que nous puissions sans trébucher lui dérouler un bel aplat rouge. Quoi de plus moderne, d’ailleurs, dans une époque qui promeut le standard, le rectiligne et le littéral, que de s’évertuer à crypter la langue, coder les positions et renverser les paradoxes. Moyennant quoi, je n’ai jamais considéré avec beaucoup de sérieux ses engagements idéologiques, qui ne furent sans doute jamais que méta-poétiques. Il n’est pas impossible que j’aie tort : après tout, suivant la loi des engouements générationnels et au regard de ce grand vacarme idéologique que furent les années 1970, pas impossible qu’il ait pris tout cela à cœur.

Reste que si sollersisme il y a, alors il ne peut être selon moi que l’autre mot de la recherche catégorique, radicale, intransigeante de la plus grande liberté vitale et créatrice possible, celle qui induit, revendique et même valorise celle de se contredire. Cette « plus grande liberté possible » est d’ailleurs l’exact objectif qu’il assignait au roman, « aventure physique et philosophique qui a pour but la poésie pratique » (Studio). Si je considère Sollers, l’homme, l’œuvre, j’ai le sentiment que cette définition, toute simple, brillamment métaphysique autant qu’elle est sèchement prosaïque, éclaire assez bien ce plaisir à vivre qui crevait l’écran.

Que cela fût pour le tancer ou pour l’encenser (Sollers n’attise guère les sentiments prudents), on a longtemps cherché (on cherchera encore longtemps) à rassembler les pièces du puzzle. C’est plus fort que nous : nous ne savons pas renoncer à la chimère de l’explication totalisante. Mais nous n’y parviendrons pas, jamais. Car cette recherche d’un sens ordonné n’en aurait pas, de sens. Ce serait antithétique avec une Liberté dont la majuscule seule l’intéressait. On pourra faire entrer le Sollers dans un tube à essais, certainement pas en tirer une loi chimique ordinaire ou constante : le précipité sera instable. Tant mieux : il est bon d’agacer une époque qui ne supporte pas le paradoxe et ne soupire qu’après la pureté – à commencer par la pureté morale, cette fabrique à réprimer.

Pour s’être lui-même prêté au jeu par goût de la farce, du faux-semblant ou de la subversion, et probablement aussi pour le plaisir de faire parler de lui, Sollers savait mieux que quiconque que la « société » n’affecte plus guère à l’écrivain qu’une fonction divertissante ou spectaculaire. Le divertissement de masse, à visée commerciale, corrompt l’intuition artistique, à visée sublimatrice. Cela vaut pour les œuvres littéraires comme pour Venise. Après tout, mais ce sera aux historiographes du futur de le dire, il est peut-être l’un des derniers représentants d’un monde où le seul statut d’écrivain suffisait à lui valoir un certain genre de considération.

Mais me voilà à disserter quand je n’avais à cœur que de dire, autant que possible avec un peu de légèreté, ce que ma découverte de Philippe Sollers suscita en moi.

J’étais alors un tout jeune homme, vivant dans un village très modeste, encore un peu sauvageon, et mes fantasmes étaient bien moins mobilisés par l’art du roman que par le génie politique. Or, comme c’est une règle dans l’existence, dont c’est d’ailleurs un des charmes, l’on n’accède souvent aux êtres et aux choses que par des voies inattendues, imprévisibles ou détournées. Moyennant quoi, c’est à cette période que je me lançai dans Femmes, et que je m’y lançais pour de mauvaises raisons, quoiqu’il n’en fût jamais de mauvaises : j’avais lu que le texte avait fasciné François Mitterrand, lequel s’était longtemps échiné à deviner quel authentique visage de femme se dissimulait derrière tel ou tel personnage féminin. Le souvenir qu’il me reste de cette lecture, touffu, enchevêtré, peut se résumer à une sorte de subjugation. Subjugation devant la virtuosité, l’érudition, le piquant, le rythme, dont je conserve une impression très vitaliste, enfin l’étrange musicalité d’un ensemble dont je savais ne pas saisir toutes les subtilités. Je crois que je me sentais admiratif d’une manière d’écrire dont je percevais qu’elle révélait une personnalité très à part, et à tout le moins éloignée de mon univers courant. Je découvrais que l’un des privilèges de l’écrivain était de pouvoir s’utiliser sans impudeur, qu’il était possible de se livrer sans se livrer. La mécanique qui travaille l’adolescence en sous-main est implacable : chaque découverte nous tatoue. Charge à nous, ensuite – cela peut prendre la vie – de nous en libérer. Ainsi fonctionnent les grandes transmissions, et s’engendrent les écritures à venir.

Aux yeux et aux oreilles de quelqu’un dans mon genre, que la tendance naturelle porte à se laisser glisser sur la pente un peu gnangnan d’une certaine nostalgie, d’un certain mélancolisme, Sollers a toujours fait résonner un tonitruant rappel à l’ordre. Lorsque je songe à lui, je m’aperçois qu’il est de ces esprits qui savent, d’un simple rictus railleur devant votre mine abattue, vos pâleurs ou vos rides soucieuses, balayer toute passion triste. Il est loisible à cette aune de le regarder comme une sorte d’anti-Houellebecq : quand celui-ci nous invite à contempler la laideur du monde, pourquoi pas à nous y vautrer, Sollers nous sauve de nos humeurs en en riant haut, sachant bien que c’est dans le rire – on voit cela chez Rabelais, chez Swift, bien sûr chez Voltaire et Diderot – que la liberté nous lance ses clins d’œil.

Je pense que jamais Sollers ne dupa Philippe. C’est pourquoi il avait le triomphe amusé, désinvolte et raffiné. À moi qui me suis toujours senti un peu pataud dans la vie sociale, son apparente aisance à vivre dans le beau monde tout en chérissant la solitude des bords de mer est toujours apparue comme une panacée. J’ignore la part de comédie de tout cela, j’ignore ce que, fatalement, il ne pouvait manquer d’éprouver comme sentiment d’incomplétude, comme tourment ou comme amertume, mais je me satisfais très bien de ce Sollers inaccessible, insaisissable et secret que j’ai aimé. Pour le reste, on verra, dans trente ans, ce qu’il en est.

 

Marc Villemain

(dernier roman paru : Il faut croire au printemps, Joëlle Losfeld Editions)

 

Stéphane Barsacq

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Philippe Sollers fut un ami. Ce qu’il m’évoque ? La jovialité. Un mot à rattacher à son étymologie, où on lit, en transparence, le propre de ce qui caractérise Jupiter. Je me souviens aussi qu’il aimait citer tel sage chinois qui prête ces paroles à Confucius : « Le bonheur est plus léger qu’une plume : personne pour l’attraper ! Le malheur est plus lourd qu’une pierre : personne pour s’en délester ! ».

Philippe Souvenir – Instantané

Je suis ami avec Philippe Sollers depuis deux ou trois éternités. Avant de le connaître, j’ai été admiratif de plusieurs écrivains majeurs : Edmond Jabès, Emil Cioran et Yves Bonnefoy. J’avais à peine une vingtaine d’années lors de ma rencontre avec lui. Il m’avait écrit à propos d’un texte que j’avais publié sur le XVIIIe siècle. Depuis, en près d’une décennie, jamais l’intensité de notre amitié́ n’a faibli : ciel bleu, sans nuage. Si j’ai vu Sollers, de trop près – pour ne pas le confondre avec son image déformée, caricaturée à l’excès, mais n’est-ce pas là le propre d’un écrivain –, et de très loin – pour ne pas oublier qu’il est d’abord un artiste, donc rivé à un perpétuel devenir, un maître en métamorphoses –, je n’ai jamais manqué d’être ravi par notre dialogue, lui de trente-six ans mon aîné. Une vie, trente-six ans, celle de Purcell, Mozart ou Rimbaud. De quoi avons-nous parlé au cours de ces folles journées, souvent débutées si tôt le matin, et terminées si tard la nuit ? De rien, mais ce qui ne s’appelle rien, de ce que les journaux racontent de lui, ou de ce que sa légende, entretenue par quelques valets de plumes, accuse lâchement : mystique, théologie, grands compositeurs. Toujours philologie, et littérature. L’essentiel enfin tel que les dieux s’en donnent le spectacle où le rire féconde l’éphémère. Jamais de bavardage, ni de confidence de part et d’autre ; l’étude magique de quelques vieux mots. Ce qui intéresse Sollers au fond ? L’élégance des êtres. Leur faculté́ à la joie. L’élan à la nuance du plaisir qui les détermine. Les hommes comme les femmes, et parmi celles-ci, les plus simples. Non pas les plus « naturelles », au sens de Baudelaire : celles qui se jouent le plus de l’idée que les hommes se font d’elles. La poésie enfin – celles des saints, et des prophètes. Et parmi eux, telle pianiste, telle chanteuse, célèbre, en devenir ou entendue la veille à la radio. Et toujours les mêmes noms célébrés : Alfred Deller, Glenn Gould, Ferenc Fricsay, Clara Haskil, Elisabeth Schwarzkopf. La politique ? Aucun intérêt, exceptée celle du Pape, ou sinon pour savoir qui fait quoi, pour qui, comment – entendons à quel prix –, et ne jamais en être dupe. Caverne, illusion, refoulé : on regarde, on survole, l’air ne se respire qu’aux hauteurs, sinon au plus près de ceux qui souffrent. Son passé ? Pas un mot, sauf de temps à autre, des souvenirs d’enfance, une visite de la Reine Mère à Bordeaux, ou un concert de jazz, donné par Louis Armstrong, qui a changé sa vie, en lui révélant l’éclat du rythme. De même, pas un mot sur 1968, ni sur son engagement maoïste (pour moi qui n’étais pas né à cette époque, je m’en moque assez. Notre époque a déchiré tous les plastrons.) Et toujours ces discussions reprises sans fin sur Paul Claudel, Judith Nelson, Charlie Parker, Maurice Blanchot, Billie Holliday, Georges Bernanos, John Coltrane, André Breton, Pierre Hantaï, Louis Aragon, René Jacobs, Martha Argerich, Cioran, parfois Julien Gracq, plus souvent Cecilia Bartoli ou Hélène Grimaud. Mais encore, Francis Ponge, Jean Genet, Jacques Lacan, Jean-Paul Sartre, ce qui ne l’empêche pas d’aimer Jean Anouilh et Marcel Aymé, de citer Hitchcock ou Mizoguchi, de raconter ses souvenirs de Pasolini, et d’enchaîner avec Fragonard, Picasso, Caravage, Cézanne, voire Piero della Francesca. Les figures parisiennes ? Jamais, sauf pour en rire. Sollers les ignore, sans les méconnaître. Sa dévotion va aux artistes et aux demi-dieux, aux musiciens enfin, qui le retiennent au bord du gouffre que trop de journalistes – zélés serviteurs du néant – offrent en miroir à l’époque. Ce que Nietzsche dit du « charme diabolique de Socrate » est vrai de Sollers : « Il avait son âme, mais par derrière, une autre encore et, par derrière, encore une autre ».

Stéphane Barsacq (2003)

(Dernier livre paru : Solstices, Editions Corlevour)

(Illuminations À travers les textes sacrés, Robert Laffont, lui est dédié)

 

Vincent Roy

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Philippe Sollers fut enterré le 15 mai 2023. Dominique Rolin est morte le 15 mai 2012. Coïncidence ? Impossible. Signe des dieux ? Certainement. Dans L’Étoile des Amants (Gallimard, 2002), on peut lire ceci : « Les amants sont évidents, mais personne ne les remarque ». Et, un peu plus loin : « Tout doit servir à votre cause, drapeau noir, baie introuvable, signaux codés et discrets ». Voilà !

Sollers n’en finit pas de faire signe. Ceux qui l’ont connu le savent bien. Je l’ai connu en 1998, ou 1999. Qu’importe. Depuis cette date, la conversation court. Et la mort, dans cette affaire, ne changera rien. Sollers est là puisque je le lis. J’entends sa voix.

Il m’est difficile, aujourd’hui, de parler de lui. De nos déjeuners réguliers pendant 15 ans, de nos rencontres programmées, le soir, toujours à La Closerie, à 18h45 précises. De ma visite à l’Île de Ré. De mon voyage à Bordeaux, en sa compagnie. De nos si nombreux entretiens dont certains, rassemblés, forment un livre, L’Évangile de Nietzsche (Gallimard-Folio n°4804). De nos rires. Oh oui, de nos rires. Surtout.

Un soir, il y a trois ou quatre ans déjà, c’est l’été, il fait une chaleur de plomb, je passe une heure dans son bureau chez Gallimard à parler de Lautréamont puis nous allons prendre un verre. Au sortir de la « banque centrale », sur le trottoir, Sollers me lance : « Vite, de l’alcool, je n’en peux plus de Sollers ! ». Drôle de type, quand même, qui métabolisait le poison.

Je ne perds pas un ami car il m’a écrit, en 2017, que je l’étais, c’est immuable, comme les lois de la Nature. Je perds un maître. On pourra bien dire ce qu’on voudra, c’était le plus grand écrivain vivant.

Vincent Roy

(dernier roman paru : Un printemps neuf, Cherche-Midi)

 

L’aventure romanesque se poursuivra ici, avec notamment l’annonce de la publication par les Editions Gallimard de la Correspondance entre Francis Ponge et Philippe Sollers – 1957-1982.

 

Philippe Chauché


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A propos du rédacteur

Philippe Chauché

 

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Rédacteur

Domaines de prédilection : littérature française, espagnole, du Liban et d'Israël

Genres : romans, romans noirs, cahiers dessinés, revues littéraires, essais

Maisons d’édition les plus fréquentes : Gallimard, Minuit, Seuil, Grasset, Louise Bottu, Quidam, L'Atelier contemporain, Tinbad, Rivages

 

Philippe Chauché est né en Gascogne, il vit et écrit à St-Saturnin-les-Avignon. Journaliste à Radio France durant 32 ans. Il a collaboré à « Pourquoi ils vont voir des corridas » (Editions Atlantica), et récemment " En avant la chronique " (Editions Louise Bottu) reprenant des chroniques parues dans La Cause Littéraire.

Il publie également quelques petites choses sur son blog : http://chauchecrit.blogspot.com