Hommage à Baudelaire (XX) - Sous les soleils mouillés de Baudelaire, Charles Duttine
Il fait beau en cette saison. Le soleil est omniprésent et parcourt son orbite d’une manière mathématique et insistante. Mais, qu’en est-il de cet astre chez Baudelaire ? A première vue, il ne semble pas peupler l’univers du poète. L’été n’est pas la saison que l’on associe à Charles Baudelaire, mais ce sont plutôt l’automne et l’hiver, lui le poète de l’ennui, du spleen et de l’affreuse mélancolie. « O fins d’automnes, hivers, printemps trempés de boue / Endormeuses saisons ! Je vous aime et vous loue… » écrit-il dans Brumes et pluies.
Pourtant combien d’occurrences sur l’astre solaire ! Et que de références ! Même un poème est intitulé Le Soleil (poème LXXXVII) curieusement placé dans la section Tableaux Parisiens. Lors de la première édition, celle de 1857, ce poème était d’ailleurs situé en deuxième position après Bénédiction dans la section Spleen et Idéal, place qui sera ensuite attribuée à L’albatros.
Par-delà ce poème, voici quelques modestes pistes sur cet astre chez l’ami Baudelaire.
Tout d’abord, l’astre solaire est valorisé ; il est source de vitalité et d’énergie, « un père nourricier… (qui) fait s’évaporer les soucis vers le ciel ». Il métamorphose aussi « Quand, ainsi qu’un poète, il descend dans les villes, / Il ennoblit le sort des choses les plus viles ». Baudelaire l’associe également à la rêverie exotique. Dans les paysages lointains, le soleil y est « monotone », il « caresse », il teint de « mille feux » le paysage ou invite à s’endormir « dans une chaude lumière ». Enfin, il correspond à des moments d’accalmie « Que les soleils sont beaux dans les chaudes soirées ! »
Pourtant, le soleil peut-être « cruel », « blanc ». « Il frappe à coups redoublés ». Il se couvre parfois « d’un crêpe », « Comme une ironie, il peut briser (le) sein ». Et à la manière de « la froide majesté de la femme stérile », il est « un astre inutile ». Il est très présent dans Une Charogne et contribue à la décomposition de l’animal. « Le soleil rayonnait sur cette pourriture / Comme afin de la cuire à point ».
Et, il y a enfin le cas du soleil couchant, cliché romantique par excellence transformé par Baudelaire. Il devient chez lui un moment de transition, d’exaltation (« ruisselant et superbe »), mais aussi marqué par une affreuse inquiétude. Il se voit alors teinté d’une dimension morbide « le soleil s’est noyé dans son sang qui se fige ». Ou encore, « Il ensanglante le ciel de blessures vermeilles ».
Le soleil semble donc un des éléments de l’ambiguïté baudelairienne, un astre idéalisé mais aussi monstrueux, symbole de perfection mais également proche de son envers lunaire et satanique. Il y a en lui de L’Idéal et du Spleen, un entre-deux représentatif du tempérament baudelairien.
Mais qui a dit que le soleil et la mort ne pouvaient être regardés en face ?
Charles Duttine
Le soleil, Charles Baudelaire (LXXXVII. Tableaux parisiens)
Le long du vieux faubourg, où pendent aux masures
Les persiennes, abri des secrètes luxures,
Quand le soleil cruel frappe à traits redoublés
Sur la ville et les champs, sur les toits et les blés,
Je vais m’exercer seul à ma fantasque escrime,
Flairant dans tous les coins les hasards de la rime,
Trébuchant sur les mots comme sur les pavés,
Heurtant parfois des vers depuis longtemps rêvés.
Ce père nourricier, ennemi des chloroses,
Eveille dans les champs les vers comme les roses ;
Il fait s’évaporer les soucis vers le ciel,
Et remplit les cerveaux et les ruches de miel.
C’est lui qui rajeunit les porteurs de béquilles
Et les rend gais et doux comme des jeunes filles,
Et commande aux moissons de croître et de mûrir
Dans le cœur immortel qui toujours veut fleurir !
Quand, ainsi qu’un poète, il descend dans les villes,
Il ennoblit le sort des choses les plus viles,
Et s’introduit en roi, sans bruit et sans valets,
Dans tous les hôpitaux et dans tous les palais.
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