Histoires extraordinaires du jour le plus long, Tomes 1 & 2, Philippe Bertin (par Vincent Robin)
Histoires extraordinaires du jour le plus long, Tomes 1 & 2, Edition Ouest-France, 2016, 440 pages, 12,90 €
Ecrivain(s): Philippe Bertin
Une génération au moins, celle des naissances étendues sur les cinquante ans consécutifs à la seconde guerre mondiale, ne saurait oublier la date du 6 juin 1944, dont le soixante-quinzième anniversaire était salué sans trop de fastes inutiles durant juin dernier sur les plages normandes.
Pour cette tranche d’âge et au sein de la population normande, l’implication de membres familiaux, de proches, d’amis ou de certains cercles de connaissances, aura entretenu jusqu’à aujourd’hui le souvenir des rudes chroniques de la libération côtière et régionale. Sous la poussée invasive et militaire, celle-ci s’était alors réalisée plutôt rapidement. Mais elle allait bientôt compter aussi de redoutables jours d’épreuves et de souffrances pour des habitants déjà sous le joug depuis quatre ans. Chez ces non-combattants, premiers témoins ou victimes des circonstances soudaines, sur place ou parfois même à distance, récoltant ensemble d’inoubliables blessures occasionnées par des affrontements parfois totalement aveugles, un déclic lumineux et réconfortant balayant plusieurs années d’ombres mortifères viendrait pourtant à terme prendre le pas – bien sûr, par abnégation et abandon d’esprit vengeur – sur ces révoltantes et sacrificielles douleurs.
Dans son précieux rapport de témoignages normands associés à cette vibrante époque et réunis dans un ouvrage intitulé Histoires extraordinaires du jour le plus Long, le journaliste Philippe Bertin établit à son tour ce moyen d’une réhabilitation glorieuse et dignitaire des infortunés du grand fracas libérateur.
Sans aucun doute, cette plutôt âpre revue d’expériences individuelles ou communes paraît tout d’abord adressée à ceux qui, au départ de la libération du pays, seront restés infiniment meurtris par de plus traumatisantes plaies guerrières. Le détail des blessures rencontrées en différents points précis, le courage des résidents pris sous les feux croisés ennemis, l’intensité dramatique des situations particulières (aussi parfois heureuses) inviteront, en outre et tout au long de ce récit épisodique, la sensibilité du lecteur non originaire des lieux et demeuré un tant soit peu ignorant des péripéties survenues dans ce contexte particulier.
« Puissent ces rencontres garder la mémoire des mots du cœur, elles ont été écrites pour cela » (p.14). C’est, dans son avant-propos, la formule qu’utilise Philippe Bertin pour résumer le sens donné à ses enquêtes menées soixante-dix ans après les faits, et même, pourrait-on dire à cet égard, au lendemain de « la tragédie ».
Des survivants et témoins du drame, il en subsiste encore. Des écrits, des lieux inchangés et des pièces à conviction attestent toujours des faits survenus. Ce sont ici, près de Mortain et au village de Sourdeval, tous ces gamins pensionnaires-réfugiés de Cherbourg depuis 1943 et qui connaîtraient un an plus tard, au fond de leur tunnel d’un « château-école » creusé pour les protéger, les bombardements intensifs des Anglais et Américains. Non loin encore, ce sont, là aussi, ces deux jeunes sœurs de 11 et 14 ans réfugiées tout au fond de la mine de « Combremont », près de Sotteville. En quittant ce refuge après les derniers bombardements du 14 août, l’une d’elle déclara : « Nous n’osons pas regarder autour de nous. C’est l’enfer. Tout a été détruit. Les bêtes mortes sur les bords des routes sont gonflées par la chaleur […] Les cadavres des soldats se décomposent dans les talus et les vergers. Une odeur pestilentielle… » (p.90-91). La liste saisissante des cas individuels ou collectifs réunis en ce recueil serait ici trop longue à énumérer.
En observant le sort global de ces habitants du front de terre normand de ce temps livrés à la radicalité des bombardements alliés aussi après quatre années d’occupation (on se souviendra du sort funeste des villes de Saint-Lô, Caen et du Havre), aperçoit-on le prix chèrement payé par les civils d’une même région lors de cette subreptice mais sanglante reconquête d’un sol. En dépit des dommages qu’il occasionnerait, le jour du débarquement (Jour « J » ou « D-DAY ») sur les plages normandes demeura pourtant et par la suite, solidement, aussi pour une majorité de Français (en même temps que pour ses acteurs étrangers participants), non point seulement un certain bonheur des libertés retrouvées, également une date de justice universelle épinglée dans l’histoire du siècle. Ensuite encore, et non sans répandre d’ailleurs une certaine confusion dans les esprits, la commémoration rituelle du gigantesque assaut naval aussi baptisé « Overlord » détrôna-t-elle sensiblement par sa notoriété internationale l’anniversaire du 8 mai 1945, date pourtant officielle de la chute de Berlin et de l’écroulement du très odieux régime hitlérien.
Toujours un certain recul du temps impose ses lenteurs aux observateurs pour établir avec justesse et discernement les marques donnant un poids historique aux évènements. Au sujet du débarquement de 1944, il convient – notamment à travers cette édition fameuse – d’apercevoir que la précision d’un déroulement d’opérations, le regroupement et l’assemblage écrit des circonstances singulières auront nécessité d’accorder du temps au temps. Au-delà des témoignages de combattants impliqués dans les assauts guerriers (que restituent d’ailleurs formidablement les œuvres antérieures de Cornelius Ryan ou d’Anthony Beevor sous le label « D-DAY »), un récit annexe et d’origine civile restait essentiel pour l’histoire et la compréhension de ceux qui auront pris part aux évènements, non point tant par initiative que par implication contrainte. Ce livre consacre aux non militaires, néanmoins acteurs de l’épisode, une formidable dédicace sans doute propre à effacer les rancœurs ou ressentiments difficilement apaisés au fil du temps. Un moyen de n’abandonner quiconque au rang des victimes anonymes et expiatoires de l’histoire d’une libération.
Pour certains, peut-être désireux d’étendre leur analyse, cet ouvrage renverra-t-il finalement aux questions brûlantes portant sur la responsabilité générale – et dont on mesurera ici formellement la très funeste conséquence – lorsque l’on ferma préalablement assez « ouvertement » les yeux face aux ascensions de la cause ignoble. Il s’agissait de la montée d’un régime idéologique et politique odieux, élevé grâce aux attirances ou cécités complaisantes jusque dans la folie barbare du déni démocratique relayé par l’asservissement, voire même bientôt par l’élimination massive de membres de l’espèce humaine. Le « Munich » de 1938 ne couvait-il pas alors déjà, sous de plus rudes perspectives, le meurtrier mais pourtant salutaire « Overlord » de 1944 ? Un livre plein de sensibilités rétrospectives et d’enseignement civique.
Vincent Robin
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