Histoires de la nuit, Laurent Mauvignier (par Philippe Leuckx)
Histoires de la nuit, septembre 2020, 640 pages, 24 €
Ecrivain(s): Laurent Mauvignier Edition: Les éditions de Minuit
L’auteur de Des hommes, et Dans la foule, né en 1967, pensionnaire à la Villa Médicis, a déjà derrière lui une œuvre singulière, reconnue. Son dernier livre, un roman, constitue un premier point d’aboutissement d’une littérature exigeante, à la prose lente, réfléchie, très descriptive.
L’histoire se déroule, en une seule journée, au centre de la France dans un bled, La Bassée. Y vivent les quatre personnages de l’intrigue : la peintre parisienne Christine venue là se réfugier ; un couple, Patrice et Marion, et leur petite fille de dix ans, Ida.
On prépare la fête des « quarante ans » de Marion. Tout le monde s’affaire : Patrice, parti en ville, chercher de quoi se sustenter ; Christine, de son côté, a prévu les gâteaux de la fête. Ida aidera les deux pour que tout soit réussi.
Banal, me direz-vous, sauf que l’intrusion d’individus louches dans le hameau enclenche chez le lecteur et les personnages une histoire « de nuit », vraiment infernale.
La soirée, bien préparée, avait ses horaires, ses surprises.
Tout bascule dans l’horreur : on tue un chien, on séquestre les habitants du hameau. Le roman décrit à la perfection l’intrusion, l’installation des bandits (Christophe, Bègue, Denis), et durant plus de cinq cents pages, on tremble, on se met à la place des victimes, on attend.
L’attente, comme la lenteur des nuits sombres, occupe le centre du roman, innerve le travail de lecture tant la fluidité des longues phrases nourrit la narration en la sidérant, en différant sans cesse notre impatience de connaître la résolution d’un mystère que l’écriture alimente, chapitre après chapitre. On savait Patrice fermier, Marion employée dans une imprimerie. On va de proche en proche apprendre que Marion n’est pas la femme que chacun(e) croit connaître. Elle cache un passé trouble, que l’arrivée des inconnus va en partie éclairer. Patrice ainsi comprend très vite que les agresseurs ne sont pas inconnus de sa femme.
On n’imaginait pas Mauvignier écrivant un thriller ; on ne pressentait pas, vu la matière de ses romans précédents, qu’il y viendrait, tout naturellement. Car ici la maîtrise du genre est confondante, tant les personnages que les décors sont sans cesse décrits avec un sens du détail remarquable. On savait Mauvignier excellent en monologues ; il n’y déroge guère dans ce nouvel opus. On sait par l’intérieur chacune des composantes de la pensée des personnages, par un travail d’écriture époustouflant. Les phrases sont la matière insigne de ces descriptions, qui ne sont jamais inutiles mais qui servent à crédibiliser jusqu’à l’extrême chaque geste, chaque lieu, chaque réaction psychologique. Du grand art.
Huis-clos, le roman échappe à toute théâtralité. C’est la vie que le lecteur sent prisonnière au fil des pages.
L’univers de la province, les maisons du hameau « Les trois filles », les chemins encaissés : tout concourt à la justesse du livre, étonnant de réalisme, sans jamais tomber dans les facilités du naturalisme, puisque le style – ces longs développements – prime.
On sort du livre, anéanti, parce que le destin de chacun peut être facilement broyé. Il suffit parfois d’une mauvaise rencontre. On ne sait qu’un petit pan de la vie des autres. Le reste est mystère.
Ce grand livre, maîtrisé de bout en bout, est l’un des plus beaux de la rentrée d’automne. Il repart de celle-ci sans prix, ce qui est une pure aberration. Une injustice.
Philippe Leuckx
Laurent Mauvignier, né en 1967, écrivain français, est l’auteur d’une quinzaine de romans, tous publiés à Minuit : Apprendre à finir ; Dans la foule ; Des hommes ; Autour du monde…
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