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Histoire des rois de Norvège, tome II, Snorri Sturluson (par Didier Smal)

Ecrit par Didier Smal 05.09.22 dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Histoire, Poésie, Pays nordiques, Gallimard

Histoire des rois de Norvège, tome II, Snorri Sturluson, mai 2022, trad. vieil islandais, François-Xavier Dillmann, 1248 pages, 38 €

Edition: Gallimard

Histoire des rois de Norvège, tome II, Snorri Sturluson (par Didier Smal)

 

Quelque vingt-deux ans après la publication de la première partie de l’Histoire des rois de Norvège, François-Xavier Dillmann, déjà traducteur de l’Edda en 1991, continue à permettre au public francophone de lire l’œuvre de Snorri Sturluson (1179-1241), probablement le plus grand poète médiéval scandinave – qui fut aussi homme politique, et dont on peut soupçonner à bon droit que l’œuvre avait une vertu idéologique. Lui en faire procès serait vain, et peu importe à quel point ses récits ont pu inspirer telle ou telle prise de position politique, du Moyen Âge à l’époque moderne – si l’on va par là, Sturluson sera en bonne compagnie sur le banc des accusés, puisque seront assis à ses côtés Homère, Plutarque, Thucydide, Ovide, Turold ou encore Chrétien de Troyes – liste non exhaustive, sachant que Dante, L’Arioste et Boccace, pour envisager la seule Italie renaissante, font figure de bons suspects… Il convient donc de lire cette Histoire des rois de Norvège comme tant d’autres ouvrages publiés dans l’excellente et érudite Collection L’aube des peuples : par plaisir de retour aux sources.

Ce plaisir est amplifié, dans le présent volume de la collection, par le fait que l’histoire contenue est cruciale dans la littérature médiévale européenne : celle d’Olaf le Saint (995-1030), ou Olaf Fils Harald, ou encore Olaf le Gros, qui régna de 1015 à 1028. Tyrannique, despotique, mais aussi génial guerrier, il fut l’évangélisateur principal de la Norvège (avec des méthodes parfois barbares, ainsi qu’en atteste le chapitre LXXIII) : forcé à l’exil en Russie, il meurt sur le champ de bataille et est sanctifié peu après, de nombreux miracles lui étant attribués. De cette vie mouvementée, politiquement sans cesse sur la corde raide, militairement glorieuse, mais menant aussi à une réflexion sur le pouvoir et son usage (le seul chapitre XCIV, « Histoire d’Edmund le magistrat », avec son jeu d’histoires anodines métaphoriques, est à lui seul exemplaire – et nombreux sont les chapitres dédiés à la consultation des peuples), Sturluson donne un aperçu qu’on envisage comme honnête – d’où la comparaison implicite ci-dessus avec Thucydide et Plutarque. En effet, cet historiographe n’écrit pas la légende d’Olaf, il raconte sa vie, dans l’ordre chronologique, l’ancrant dans une réalité concrète faite de noms propres et de lieux, tout en puisant à de multiples sources, en particulier du côté de la poésie scaldique, sources qu’il mentionne afin de rendre crédible son récit – qui est confirmé en grande partie par les notes érudites de François-Xavier Dillmann.

 

Mais si ce n’était que cela, l’Histoire des rois de Norvège pourrait n’être qu’un texte à destination de médiévistes poussiéreux. Il n’en est rien : Sturluson n’est pas qu’historien, il est aussi romancier, narrateur qui donne vie et consistance à chaque personnage, fin psychologue bien avant que l’on parle de cette discipline, à chaque situation, qui sait quand céder la parole à tel ou tel personnage, qui rythme son texte de telle façon que le lecteur y prend finalement plaisir. Car par le seul choix de la chronologie, mais relative (aucune date, que des repères temporels donnés par rapport à d’autres événements narrés), Sturluson permet au lecteur de vivre des événements simultanés, et d’être ainsi tenu en haleine, peu importe que le dénouement historique soit connu – un peu comme les meilleurs romanciers. À cet égard, et qu’on pardonne l’audace de pareille sentence, on lit Sturluson un peu comme on lit les meilleures… sagas de la fantasy ou du roman historique, qu’elles soient signées Robin Hobb ou Maurice Druon n’y changeant rien.

 

Pour partager ce plaisir de la lecture avec le francophone non familier du vieux norrois, François-Xavier Dillmann a posé des choix de traduction simples, liés à une volonté évidente : respecter l’esprit et la lettre du texte original tout en le rendant le plus fluide possible en français, afin d’éviter un texte indigeste et illisible, évitant de le parsemer de termes non traduits par une forme de purisme paresseux. Certes, on peut regretter qu’il indique dans sa belle et amoureuse « Introduction », que le « douze ans » du chapitre IV est en fait littéralement « douze hivers » – cette petite touche « nordique » eût été la bienvenue, créant un décalage, une étrangeté par rapport à notre culture où l’on compte plutôt en printemps. Ce regret est chafouin, bien sûr, comme toute remarque critique sur un ouvrage par ailleurs admirable en tout point, auquel on prend, on y revient, plaisir. Car si l’on a bien conscience que nombre de clés sont nécessaires pour ouvrir le sens de certains des quelque deux cent cinquante chapitres de cette seconde partie de l’Histoire des rois de Norvège, des plus brefs au plus longs, et ces clés sont proposées dans des « Notes » abondantes qui constituent plus de la moitié du présent volume, on s’est tout simplement laissé entraîner par la faconde narrative de Sturluson servie par la traduction de Dillmann, et on a lu, qu’on nous pardonne à nouveau, L’Histoire d’Olaf le Saint comme on lit le meilleur de la fantasy, en se laissant tout simplement entraîner par l’histoire. Puis on a feuilleté l’appareil critique, qui permet d’affiner la compréhension, ne le snobons pas (et avouons qu’on avait noté des numéros de chapitres auxquels revenir afin d’en éclaircir le sens historique), on a admiré le cahier d’illustrations, on a passé la bibliographie faute de désirer devenir un spécialiste, puis on est tombé sur des arbres généalogiques, des cartes et un « Index » qui ont eu pour effet principal de donner envie de replonger dans cette Histoire des rois de Norvège.

Et comme d’habitude à chaque volume de la Collection L’aube des peuples, on s’est dit que si on le pouvait (mais qui nous l’interdit ?) on reviendrait sans cesse à ces textes radicaux au sens premier de l’adjectif, juste histoire de comprendre d’où nous provenons et ainsi qui nous sommes. Il se pourrait que l’Histoire des rois de NorvègeLa Razzia des vaches de Cooley ou Les Quatre Branches du « Manibogi » soient bien plus en nous que nous le pensons lorsque nous nous oublions.

 

Didier Smal

 

Snorri Sturluson (1179-1241) est un homme politique et écrivain islandais ; son œuvre, en particulier l’Edda et ses sagas, est la porte d’entrée parfaite dans la mythologie nordique.

François-Xavier Dillmann (1949) est spécialiste de la mythologie nordique, ainsi que de la philologie et la littérature norroise. Docteur honoris causa de l’université d’Uppsala, parmi diverses distinctions, il est membre actif de nombreuses sociétés scientifiques.

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A propos du rédacteur

Didier Smal

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Didier Smal, né le même jour que Billie Holiday, cinquante-huit ans plus tard. Professeur de français par mégarde, transmetteur de jouissances littéraires, et existentielles, par choix. Journaliste musical dans une autre vie, papa de trois enfants, persuadé que Le Rendez-vous des héros n'est pas une fiction, parce qu'autrement la littérature, le mot, le verbe n'aurait aucun sens. Un dernier détail : porte tatoués sur l'avant-bras droit les deux premiers mots de L'Iiade.