Histoire de moi-même, Henry David Thoreau (par Philippe Leuckx)
Histoire de moi-même, trad. américain Thierry Gillybœuf, 216 pages, 18 €
Ecrivain(s): Henry David Thoreau Edition: Le Passeur
Le texte inédit de l’auteur du célèbre Walden, préfacé par un expert de son œuvre, qui a presque tout édité, History of Myself, « tout sauf un brouillon de Walden » selon Gillybœuf, nous plonge dans les années 1845-1847, quand Thoreau, la trentaine sonnant, poète, philosophe, pense, dès l’automne 1844, s’installer dans une cabane au fin fond des bois de Walden Pond. Vertu de ce genre d’ouvrage où la nature et l’homme recueillent de conserve des dons d’émerveillement, distiller au lecteur une dose suffisante d’éveil lucide sur soi et le monde.
Le texte propose tout à la fois un essai sur les valeurs nouvelles promises par le poète et décrites au plus près de la réalité entreprise, un témoignage de premier ordre sur l’analyse des rapports de soi au monde, aux autres, à la culture au sens le plus fondateur, celui qui aime « cultiver l’instant présent » avec son âme de « reporter » du réel, relate son ordinaire – leçon de nature et de solitude éprouvée, volontaire, à l’abri des assauts du monde extérieur, de son village, Concord.
Produire ses légumes, travailler, compter par le menu les moindres frais d’une installation au bout des bois : l’entreprise de Thoreau tient du livre de comptes, du journalier, du récit de vie, à vertu édificatrice voire édifiante, du tableau de société : imaginez un peu, vous êtes avec ces lignes revenu au milieu du XIXe siècle, c’est-à-dire dans un lointain pour beaucoup inimaginable. Quoique… on y pense rails et chemin de fer ; on y cause liberté et droits ; on y développe une sorte d’économie autarcique, élémentaire, au plus proche des éléments – terre, vent, espace, bois.
Le mot est lâché : Thoreau parle d’expérience. Comme on expérimente le « soi », « la vie », « les autres », « le monde », entre poésie et philosophie. Au-delà de soi, c’est à un retour à de neuves valeurs que Thoreau nous invite : labeur à la fois intellectuel et manuel, manière de rompre avec les poncifs de la civilisation (ces passages obligés, ces courbettes, ces choses imposées…).
Thoreau est mort dans la fleur de l’âge : 45 ans. Avec la postérité, pieds devant, bien ancrés, comme le socle de la cabane qui lui donna des ailes.
Le sens de la description, aiguë, vive, donne à ces textes valeur de tableau, de temps arrêté au milieu des vicissitudes du monde, à l’ombre du travail des hommes :
« Tôt le matin, alors que les choses craquent encore sous le gel, des hommes arrivent avec leurs gaules à moulinet et un repas frugal – des hommes à la foi indéboulonnable – et ils laissent leurs fines lignes descendre à travers l’étendue enneigée pour prendre brochetons et perches », p.194.
Philippe Leuckx
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