Histoire d’une baleine blanche, Luis Sepúlveda, Joëlle Jolivet (par Gilles Banderier)
Histoire d’une baleine blanche, Luis Sepúlveda, Joëlle Jolivet, septembre 2019, trad. espagnol (Chili) Anne-Marie Métailié, 118 pages, 12 €
Ecrivain(s): Luis Sepulveda Edition: Métailié
« Si l’art est une force digne de respect, même aux yeux de ceux qui ne s’y intéressent pas, c’est en partie à cause de la facilité avec laquelle le mythe avale la vérité… sans le moindre rot d’indigestion ». La formule de Stephen King manque sans doute d’élégance, mais elle n’en est pas moins exacte. Herman Melville n’a inventé ni les baleines, ni les histoires de chasse à la baleine. Il a même placé au début de Moby-Dick, en une satire à la fois mordante et mélancolique de l’érudition, un florilège de citations anciennes et modernes, de la Bible à Darwin, en passant par Montaigne, Milton et Cuvier. Melville n’a pas davantage inventé le cachalot blanc : comme dans la plupart des espèces animales, les albinos sont rares (a-t-on jamais observé des gorilles blancs ?) ; cependant ils existent. En revanche, Melville a tiré de cette singularité naturelle et des vieux récits de chasse un roman d’une rare puissance, mais dont la postérité fut ténue (on ne recense pas les versions de Moby-Dick comme celles de Don Juan et, malgré les progrès accomplis par les effets spéciaux, le cinéma en est pour le moment resté au film de John Huston).
Le court récit de Luis Sepúlveda se place dans le sillage de Melville, avec cette grande différence que l’histoire est contée du point de vue du cétacé, une baleine blanche immortelle, qui croise au large des côtes chiliennes. Cette variation, au sens musical du mot, permet au romancier d’incorporer le folklore des Indiens lafkenche, qui vivent – ou vivaient – dans les parages. On pense au Raspail de Qui se souvient des hommes ? Comme la baleine mythique, les Indiens et leurs légendes sont victimes du Gestell heideggerien, de l’ar-raisonnement (terme maritime) à la sphère technico-marchande et de son extension à la planète entière. La prose de Luis Sepúlveda a été (bien) traduite par l’éditeur en personne (une grosse coquille à éliminer page 12) ; elle est escortée par les dessins de Joëlle Jolivet, beaux, simples et de facture ancienne (ce n’est pas un adjectif péjoratif), qui évoque les xylogravures d’antan.
Gilles Banderier
Luis Sepúlveda est né au Chili en 1949 et vit actuellement dans les Asturies (Espagne). Il est entre autres l’auteur du Vieux qui lisait des romans d’amour.
Née en 1965, Joëlle Jolivet a publié de nombreux albums, édités dans le monde entier.
- Vu : 2747