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Histoire, Claude Simon

Ecrit par Frédéric Aribit 10.09.13 dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Roman, Les éditions de Minuit

Histoire, février 2013, 424 pages, 9,50 €

Ecrivain(s): Claude Simon Edition: Les éditions de Minuit

Histoire, Claude Simon

 

Publié en 1967 et aussitôt couronné par le Prix Médicis, Histoire de Claude Simon vient d’être réédité par les éditions de Minuit dans leur collection Double. Histoire ? Majuscule ? Minuscule ? Singulière ou plurielles ? Le titre, qui pourrait passer pour un pléonasme dans la grande catégorie littéraire du roman, a au contraire chez Claude Simon tout d’une antiphrase.

Quelle « histoire », donc ? Le livre entrecroise, télescope en effet plusieurs époques, plusieurs lieux, plusieurs micro-récits qui s’interpénètrent, se parasitent les uns les autres. Ce sont autant de scènes fondatrices, traumatiques ou symboliques, que l’écriture mêle ou démêle, prend, perd puis retrouve, en une logorrhée magistrale, un étourdissant continuum de mots que vient à peine interrompre parfois, de loin en loin, une ponctuation minimale. On y repère, disséminés dans cette pâte verbale qui entend coller au plus près du flux de conscience, des moments de la guerre d’Espagne ou de la Seconde guerre, les cartes postales d’un père parti aux colonies, fragile vestige d’une ascendance décimée, une troublante cueillette de cerises, ou encore d’innombrables ekphrasis qui se renvoient, en un kaléidoscope capiteux, leurs miroirs d’images, tout cela alors que le narrateur, visitant une vieille maison de famille que frôle un acacia immémorial, est envahi par le magma des souvenirs.

Dans cette écriture qui semble vouloir épuiser le paradigme mémoriel jusqu’à l’essoufflement, jusqu’à l’impossible « mot juste » qui en serait le terme accompli, ce sont, jaculations après jaculations, comme des élans d’automatisme passés au crible d’un véritable travail flaubertien. Claude Simon, d’ailleurs, ne cache pas sa dette envers Faulkner. On en sort forcément étourdi, hagard, incapable souvent d’ordonner l’immense puzzle romanesque qui ne cesse de s’effriter, de tomber en morceaux, de déjouer l’idée même d’ordonnancement. Le risque, avec Claude Simon, c’est finalement de laisser le lecteur sur la touche. Est-ce le fait d’une technicité qui confine paradoxalement à l’artifice ? Est-ce de réclamer une disponibilité de lecture qu’il n’est pas toujours « humainement » possible d’offrir ? Est-ce donc l’inégalité d’écriture ou de réception qu’il faut incriminer ? Toujours est-il que, contrairement à La Route des Flandres par exemple, ou plus récemment, aux meilleurs pages d’un Lobo Antunes, Histoirepeut parfois ressembler, on ose à peine l’écrire, à une ahurissante machine littéraire qui tourne seule, à vide, repliée sur elle-même. Comme un livre autarcique, qui vivrait presque mieux sa trépidante vie de livre sans vous, refermé sur l’étagère.

 

Frédéric Aribit

 


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A propos de l'écrivain

Claude Simon

 

Nul ne nous éclairera mieux sur Claude Simon que Claude Simon lui-même. Ces quelques phrases prononcées à Stockholm lors de la remise du prix Nobel, nous renseignent en effet à la fois sur sa vie et son œuvre :

« Je suis maintenant un vieil homme, et, comme beaucoup d'habitants de notre vieille Europe, la première partie de ma vie a été assez mouvementée : j'ai été témoin d'une révolution, j'ai fait la guerre dans des conditions particulièrement meurtrières (j'appartenais à l'un de ces régiments que les états-majors sacrifient froidement à l'avance et dont, en huit jours, il n'est pratiquement rien resté), j'ai été fait prisonnier, j'ai connu la faim, le travail physique jusqu'à l'épuisement, je me suis évadé, j'ai été gravement malade, plusieurs fois au bord de la mort, violente ou naturelle, j'ai côtoyé les gens les plus divers, aussi bien des prêtres que des incendiaires d'églises, de paisibles bourgeois que des anarchistes, des philosophes que des illettrés, j'ai partagé mon pain avec des truands, enfin j'ai voyagé un peu partout dans le monde ... et cependant, je n'ai jamais encore, à soixante-douze ans, découvert aucun sens à tout cela, si ce n'est comme l'a dit, je crois, Barthes après Shakespeare, que " si le monde signifie quelque chose, c'est qu'il ne signifie rien " — sauf qu'il est. »

Sa vie :


Né à Madagascar le 10 octobre 1913, Claude Simon, après la mort de son père en 1914, est élevé par sa mère à Perpignan qui décède elle aussi en 1925. Son éducation est alors prise en charge par sa grand-mère maternelle et son oncle, sous la tutelle d'un cousin germain. Sa vie était, comme il le souligne lui-même, très mouvementée : il participe à la Guerre d’Espagne et combat du côté des républicains entre 1934 et 1935. Au début de la seconde Guerre mondiale, il a été mobilisé et s’est fait prisonnier par les allemands en Juin 1940. Il s’évade ensuite et revient à Perpignan. Après la guerre, il devient viticulteur à Rossignon et se consacre essentiellement à son œuvre.


Son œuvre :


Au début de sa vie, en 1931, il a suivi des cours de peinture à l’académie d’André Lhote. Cet amour de l’art visuel marquera son œuvre future.  Il écrit son premier roman, Le tricheur en 1937. Il reprend l’écriture, après la guerre, avec La Corde raide en 1947. Avec La Route des Flandres, il obtient le prix de l'Express, puis le prix Médicis avec son roman Histoire, en 1967. Il s’est vu discerné le prix Nobel de la littérature en 1985. Son œuvre incontestablement iconoclaste a été classé dans la mouvance du Nouveau Roman.


Son écriture :


Les thèmes récurrents de ses romans portent l’emprunte de sa propre vie : la mort de la mère, la guerre, l’embuscade, le chevauchement etc. À l’image de sa vie, son écriture n’est pas moins « mouvementée ». En bon élève de Marcel Proust, il lui emprunte l’importance de la Mémoire à laquelle il confie l’agencement des évènements et de son écriture en renonçant définitivement à la logique chronologique et linéaire. Dans cet effort de transcrire tout ce que la mémoire lui dicte, il en résulte une écriture digressive et en apparence incohérente, puisque sa seule logique est interne et propre à son écrivain. Les phrases incomplètes, les parenthèses, les trois points de suspension témoignent ainsi de la volonté de synchroniser la remémoration avec l’écriture. La successivité classique des évènements fait place à la simultanéité entre le présent de l’écriture et le présent de la remémoration. S’explique dès lors l’abondance des participes présents que Claude Simon admire dans l’ « ing » anglais chez un autre maître : Faulkner.

 


A propos du rédacteur

Frédéric Aribit

 

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Rédacteur

Né en 1972 à Bayonne, partage son temps entre Itxassou, au Pays basque, et Paris, où il enseigne les Lettres à l’École Jeannine Manuel.

Bibliographie :

- Comprendre Breton, essai graphique, avec Eva Niollet, Éditions Max Milo, 2015.

- Trois langues dans ma bouche, roman, Belfond, 2015.

- « Les Fées », in Leurs Contes de Perrault, collectif, collection Remake, Belfond, 2015.

- André Breton, Georges Bataille, le vif du sujet, L’écarlate, L’Harmattan, 2012.

- « La dernière nouvelle » ; « Urbi et Orbi », Prix de la nouvelle de l’Œil Sauvage, Éditions de l’Œil Sauvage, Bayonne, 2000.

- « Noctambulation », La Ville dans tous ses états, Prix des Gouverneurs (Prix de la nouvelle de la ville de Bayonne), Éditions Izpegi, 1997.

Auteur de nombreux articles publiés en revues en France (Patchwork, Loxias, Les Cahiers Bataille, Chiendents, Recours au poème…) ou à l’étranger (Roumanie, Grèce).