Souffles - Histoire à la première personne du singulier !
Après la lecture du livre À Contre-voie, Mémoires d’Edouard Saïd, le philosophe et penseur palestinien, je me suis dit : l’histoire des nations, avec sa complexité et sa luminosité, réside dans les historiettes et les détails relatés dans les écrits qui ont trait au « je », au « moi ». Certes, écrire sur le « je », le « moi », est un énorme risque. Ecrire « le moi » c’est comme marcher pieds nus sur une lame de rasoir. L’écriture du « moi » est souvent accusée d’égoïsme. Egocentrisme. Ou de falsification préméditée.
La lecture du livre À Contre-voie, Mémoires d’Edouard Saïd m’a fait penser aux quelques écrits biographiques, autobiographiques ou mémoires, publiés ces dernières années en Algérie. Je ne parle pas, ici, des écrits des hommes du premier rang du pouvoir. Ceux qui font appel aux nègres pour l’écriture. Ceux qui ont, aussi, de bons nettoyeurs de la mémoire ! Je ne parle pas de ceux qui élèvent des chiens renifleurs. Des chiens qui détectent les mots explosifs et désamorcent les événements dérangeurs ! Ici, je fais allusion à ceux qui, d’abord, savent comment écrire. Ceux qui sont capables de penser à travers l’écrit. Ceux qui n’ont pas peur de la magie ni de l’effet « Trace ». Ceux qui savent comment se libérer de l’oralité et de la rhétorique.
De tout ce qui a été édité sur les dix dernières années, dans la catégorie mémoires et autobiographies, je retiens trois titres : Mémoires d’un Algérien. Tome 1 : Rêves et épreuves (1932-1965) et Mémoires d’un Algérien. Tome 2 : La passion de bâtir(1965-1978) du Docteur Ahmed Taleb Ibrahimi, une brillante écriture, minutieuse, un travail de fourmi et un style de maître. Souvenirs du temps de l’innocence « Dikrayat Zamane el baraâ » de Mohamed El-Mili, un livre courageux et dénonciateur. Une écriture libre du poids de la censure familiale ou moraliste. Le choix de l’Algérie : deux voix, une mémoire de Pierre Chaulet (co-auteur avec sa femme Claudine), livre de sagesse et de la philosophie de rupture, écrit sous l’angle d’un visionnaire. À travers les fleurs et les épines, parcours d’une femme de Zhor Wannici, un journal d’une femme dans le miroir des mots et du temps politico-culturel, sans maquillage.
Cette semaine, j’ai lu avec plaisir Chroniques d’un Algérien heureux de Hachemi Larabi, éditions Necib 2012. Un livre libre d’un écrivain ouvert. Il se lit comme un roman ou un conte. Il nous rappelle le roman autobiographique Idriss de Ali El-Hammami. C’est une écriture audacieuse dont l’origine se trouve dans les écrits et dans la culture des anciens chouyoukh. Les vrais chouyoukh ! À l’image de cheikh Ahmed Hammani ou cheikh Abderrahmane Djilali. D’ailleurs, l’écrivain Hachemi Larabi n’est que l’élève de ce dernier. Chroniques d’un Algérien heureux de Hachemi Larabi est aussi un livre de voyages. Où plaisir, souffrance, savoir, culture se côtoient, à Tunis, au Koweït, en Egypte, au Liban, en Irak, en Jordanie, en Syrie, en Allemagne… C’est un livre qui dit la famille. Un écrivain dont la langue n’est pas dans la poche. Un livre sur les amis, sans retouches ! En lisant ces mémoires on se dit : l’histoire vraie de la nation s’installe dans les petites histoires banales de la vie individuelle, quotidienne.
Amin Zaoui
La série "Souffles" est publiée dans le quotidien algérien "Liberté"
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